LES PATES DE FRUITS ET FRUITS CONFITS EN AUVERGNE

 

UNE INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE EN VOIE D’EXTINCTION

 

 

Le voyageur qui traverse la région clermontoise de nos jours voit une ville comme les autres, avec ses banlieues populaires dans la plaine, ses banlieues résidentielles accrochées au flanc des coteaux. Les champs de maïs, subventions obligent, ont colonisé la plaine de Limagne.

Comment peut-il imaginer la région telle qu’elle était voici peu de temps encore ? Les coteaux de Clermont-Ferrand recouverts d’abricotiers et autres fruitiers, la plaine portant, outre le blé, de nombreux champs d’angélique.

Depuis des temps immémoriaux, l’Auvergne était une terre à fruits.

Depuis des temps immémoriaux également, l’Auvergnat a la réputation de posséder un " certain sens de l’économie " ("espargnaire coumo un Aubergnas ", dit-on en Languedoc, " La plus grande maison d’Auvergne est faite d’épargne " renchérit-on ailleurs ), les mauvaises langues soupçonnant l’Auvergnat d’avarice.

Depuis des temps immémoriaux en outre, les hivers auvergnats sont plutôt longs et rudes.

La conjonction de ces facteurs explique que l’art de la conservation des fruits a pu atteindre ses sommets dans la région d’Auvergne. Confitures, classiques ou sèches, confiseries, mais aussi conserves y ont en effet trouvé le terrain idéal pour se développer. Et ce développement ne manque pas d’ancienneté puisque A. TARDIEU, dans son " Histoire de la confiserie (1872) " écrit : Les confitures sèches de Clermont-Ferrand, surtout celles de pâtes d’abricots, connues au loin sous le nom de Pâtes d’Abricots d’Auvergne sont très renommées. Elles l’étaient déjà sous le règne de LOUIS XI (1423-1483)

La confiserie auvergnate a très vite su utiliser les ressources du marketing et de la publicité : un bon cadeau distribué à bon escient (et seulement à bon escient, il ne faut tout de même pas gaspiller) est un bon moyen pour augmenter sa clientèle. C’est ainsi que tous les hôtes de marque de la capitale auvergnate se virent offrir des confitures sèches ou des fruits confits. Ces produits, outre leur goût exquis, sont très faciles à transporter et constituent donc le cadeau idéal.

L’Histoire locale nous apprend ainsi que six boîtes de pâtes de fruits furent offertes en 1464 à Guillaume de VAYRIE, Mademoiselle de la TREMOUILLE en recevant le double vingt ans plus tard. De même RICHELIEU en 1629. VOLTAIRE, favorisé, n’a point à se déplacer pour se voir offrir sa "ration". Un colis lui est expédié par M. de CHAMPFLOUR en 1741, et l’écrivain philosophe lui répond ainsi : " Vous êtes trop bon, mon cher monsieur, je reçois une lettre d’avis de M. Carrau, qui m’annonce l’arrivée de deux caisses de pâtes d’Auvergne. M. le Marquis de Chastelet n’est point ici, mais Madame de Chastelet qui aime passionnément ces pâtes vous remercie de tout son cœur. " En 1816, lors de son passage, le Duc d’ANGOULEME se voit gratifié de 100 coffrets, La Duchesse du BERRY en recevant tout autant 5 ans plus tard.

Comtes, ducs, princes, empereurs, présidents, souverains de passage en Auvergne…, aucun personnage d’importance ne repart sans emporter dans son bagage peu ou prou de ces produits.

Si l’invention des pâtes de fruits remonte à la nuit des temps, le fruit confit ne manque pas lui aussi d’afficher de très anciens et vénérables quartiers de noblesse.

Dans les premiers temps de cet art, l’aspect des fruits ainsi traités importait peu. Conserver le fruit, conserver ses qualités nutritives était l’essentiel. La présentation, la beauté et autres raffinements n’intervenaient pas dans la préparation.

Mais l’Auvergnat a le sens du commerce. Une légende n’affirme-t-elle pas que Christophe Colomb, en débarquant sur les côtes américaines, rencontra des auvergnats vendant leurs productions aux autochtones ? C’est pourquoi, très vite les artisans confiseurs tentèrent de conserver au fruit sa forme, sa couleur et sa saveur. Le problème ne fut réglé que tardivement, lorsque le duc de MORNY, frère utérin de Napoléon III, commandité par "sa belle et intelligente amie " Madame LE HON (épouse de l’Ambassadeur de Belgique), qui possédait des biens considérables dans la région, eut construit et mis en service une sucrerie aux portes de Clermont-Ferrand.

Dès ce moment, le but recherché fut atteint : Les fruits confits, mariage du fruit au goût et à l’aspect magnifiques et d’un sucre extrêmement pur, traités par des ouvriers compétents furent enfin réussis, et, entre 1860 et 1890, cette industrie se développa très rapidement. " …Enfin aujourd’hui, il existe à Clermont-Ferrand six grandes usines s’occupant de la préparation des fruits confits et notamment de la pâte d’abricot. La confiserie d’Auvergne a appelé à son aide toutes les nouvelles machines qui pouvaient perfectionner ou hâter sa fabrication. La vapeur fait mouvoir les appareils les plus ingénieux, et elle est arrivée à expédier des fruits en Angleterre, en Allemagne, en Russie, en Amérique et en Turquie… "

A cette époque, confitures, pâtes de fruits, bonbons et pastilles, dragées, fruits au sirop, les moyens ne manquaient pas de valoriser la production fruitière auvergnate.

Dans le même temps, les vergers s’étendirent encore, jusqu’à occuper la totalité ou presque des coteaux proches de Clermont-Ferrand. La saveur des abricots d’Auvergne est attribuée au sol, ce substrat d’origine volcanique, et les arboriculteurs d’alors s’efforcent d’obtenir une production de qualité.

L’Auvergne, écrit en 1875 le vice-président de la Société d’Agriculture du Puy de Dôme, ne possède pas en propre d’espèces particulières d’abricotier. On se sert en général des différentes variétés de l’abricot blanc pour la confection de nos pâtes ". LEROY, dans son dictionnaire de pomologie écrit quant à lui : " Très anciennement cultivé dans l’Auvergne dont on le croit originaire, cet abricotier y jouit d’une faveur toute particulière. Chaque année, ses produits y sont achetés par les liquoristes, pour les conserver dans l’eau de vie, puis, et surtout, par les confiseurs, qui fabriquent à leur aide ces délicieuses pâtes appelées pâtes d’abricot d’Auvergne. C’est là, du reste, le seul mérite que possède ce beau fruit. "

Mais l’abricot n’était bien entendu pas le seul fruit traité par l’industrie de la confiserie clermontoise. A lui s’ajoutaient l’angélique, les cerises dites "aigres douces à courte queue ", le coing, les noix vertes, espèce monstrueuse dite "gourlaudes ", les poires (Rousselet et Beurrée d’Angleterre) les prunes, mirabelles et reines-claudes. On importait en outre des noix de Dordogne, des mirabelles et les "chinois " ou oranges de Chine qui arrivaient par Marseille dans des barriques d’eau salée.

A partir de 1880, la production locale de fruits commence à décliner. En effet, c’est à cette époque que se développent les vergers du midi, plus productifs et moins sensibles aux gelées. En outre, les arboriculteurs, avides de profit immédiat, développèrent la vigne dès que le sud de la France fut atteint par le phylloxéra. Les arbres furent donc arrachés et remplacés par des ceps.

De nos jours, la production locale de fruits à confire se limite presque exclusivement à l’angélique, qui pour être cueillie dans les règles, doit l’être avant dix heures du matin ou après seize heures entre le 15 juillet et le 15 août. Tous les autres fruits sont importés.

Les usines de confiserie ont une à une fermé leurs portes et, à ce jour, il ne reste plus qu’une confiserie industrielle et quelques artisans.

Terminons avec la recette du fruit confit telle qu’elle nous a été révélée par Olivier de SERRES au XVI ème siècle : " On amollit la chair par un rapide bouillonnement jusqu’au moment où une épingle enfoncée dans le fruit ne puisse plus le retenir. Et aussitôt mis dans une terrine, vous l’attaquez par un clair sirop, ayant seulement bouilli une onde. Au lendemain matin, rebouillez comme dessus, votre sirop reste dans la terrine avec les fruits. Autant en ferez ensuite six ou sept jours, matin et soir. Par tels réitérés bouillonnements, avance petit à petit le sucre dans le fruit et se concentrent les sirops ".

Bernard VOLDOIRE

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

  • La confiserie d’Auvergne Hélène MAYEUX (1974)
  • Les confiseurs d’Auvergne Pierre POCHET (1958)
  • Dictionnaire de pomologie T5 André LEROY (1877)
  • Proverbes et dictons d’Auvergne Alain LABRUNIE (1985)