UNE HISTOIRE BANALE

 

Marjolaine Ken, une jeune et jolie femme était debout devant sa grande comtoise. Elle regardait, une à une, les minutes s’écouler. Une fois encore, il était en retard. Quelle excuse allait-il lui donner ce soir ? Son train qui avait été embouti par une voiture ? Un voyageur qui avait sauté en marche ? Une réunion qui avait duré plus longtemps que prévu ? En ce domaine, elle avait connu toutes les explications, car, depuis quelques semaines, son compagnon, Benjamin Vittémoi, ne rentrait jamais à l’heure prévue.

Chaque jour, en elle, depuis que ces retards étaient devenus quasi-quotidiens, grandissait cette idée effrayante : il la trompait, il en aimait une autre.

Demain, j’en aurai le cœur net, se dit-elle.

Benjamin rentra enfin, lui donna une vague explication puis se mit à table. Le repas achevé, la vaisselle rangée dans la machine, la soirée se passa, morne et sans saveur. Lui, était fatigué. Par quoi ? Son travail ? Ses amours ? Elle, était totalement plongée dans ses pensées, absorbée par elles. Ils regardèrent, sans vraiment la voir, la télévision, puis allèrent se coucher. Lui, s’endormit tout de suite. Elle rumina ses idées noires durant de longues heures.

Au matin, lorsqu’ils se levèrent, rien n’avait changé, l’orage continuait de couver.

Dès le départ de son ami, Marjolaine acheva de se vêtir et courut en direction du centre ville. Elle passa à sa banque, retira une grosse somme d’argent, puis se rendit dans la rue voisine. Elle s’arrêta devant un immeuble. Elle hésita un long moment, regardant pensivement la plaque de cuivre scellée à droite de la porte, puis finit par pénétrer dans l’agence d’un détective privé. On ne la fit pas attendre. Le responsable de l’agence, Bruno Gianni, la reçut et ne fut pas surpris de sa requête : il avait visiblement l’habitude de voir des hommes ou des femmes doutant de la fidélité de leur conjoint.

- Dès que possible, ce soir même, peut-être, je vous tiendrai informée. Je vous téléphonerai d’abord, puis vous recevrez par la poste un rapport plus détaillé.

Elle versa en liquide l’avance demandée, une avance élevée, très élevée, puis partit. Très vite, elle saurait à quoi s’en tenir sur la fidélité de Benjamin. Quel que soit le résultat de l’enquête, elle aurait à nouveau l’esprit libre. Elle pourrait envisager la conception d’un enfant, ils avaient formé ce projet naguère, ou rechercher un logement et du travail, selon la réponse que lui apporterait ce détective.

Elle passa une grande partie de la journée à se promener, à flâner, à faire du shopping, constatant avec joie que les passants ne se montraient pas insensibles à son charme. Des hommes lui souriaient, se retournaient sur elle, ou se contentaient de la caresser du regard. Elle en était flattée, heureuse. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas prêté attention aux regards que les autres posaient sur elle. Mais cette épreuve l’avait conduite à douter d’elle-même. Elle avait craint d’être devenue laide et se voyait à nouveau jolie. Elle avait redouté d’être devenue transparente et constatait que son teint, ses formes étaient bien visibles. Depuis quelques jours, elle se sentait vieille, la jeunesse lui revenait.

Rentrée chez elle, elle prépara le repas, encore sous le coup de la joie qu’elle avait éprouvée durant l’après-midi. Puis vint le moment où sept heures sonnèrent. Benjamin était à nouveau en retard. Toute la gaieté de sa journée disparut et l’angoisse revint.

Puis la sonnerie du téléphone se fit entendre. Tremblante d’émotion, Marjolaine décrocha. Etait-ce déjà le détective ? Si oui, son Benjamin la trompait.

  • Ici Bruno Gianni. Je suis dans mon bureau. Soyez forte, soyez courageuse. J’ai une mauvaise, très mauvaise nouvelle à vous annoncer. Le détective que j’ai chargé de l’enquête vient de me faire savoir que votre ami est en ce moment dans un bar d’homosexuels en compagnie d’un tout jeune homme. Ils se tiennent par la main et parlent à voix basse. Vous recevrez par courrier un rapport plus détaillé, accompagné de photographies.

Marjolaine balbutia des remerciements puis resta assise, effondrée. Non seulement Benjamin la trompait, mais c’était avec un homme ! Jamais elle n’aurait cru cela de lui !

Plus tard, Benjamin Vittémoi ouvrit la porte de la maison. Il vit seulement le canon de son fusil de chasse, entendit seulement le mot "salaudd " puis s’effondra, mort sur le coup.

Au même instant, le téléphone se manifesta :

  • Ici Bruno Gianni. Je voudrais m’excuser, mais il y a eu une petite erreur de personne. Ce n’était pas votre mari qui se trouvait au Perroquet Bleu.

Marjolaine glissa au sol, évanouie pendant que la voix continuait :

- Acceptez nos excuses, c’est un simple petit malentendu.