UNE INSTITUTRICE EXEMPLAIRE
Dans un couloir de l’Inspection Académique des Yvelines, face à une porte capitonnée, deux jeunes femmes attendaient, main dans la main. Elles restaient silencieuses, échangeant de temps à autre un sourire contraint. L’une d’elles, qui semblait la plus jeune, portait un tailleur strict dont la jupe dévoilait à peine ses genoux. L’autre, un peu plus âgée apparemment, était vêtue d’un ensemble en jean, dont le pantalon moulait des cuisses avenantes. La porte s’ouvrit, et, comme prises en faute, elles cessèrent tout contact.
La jeune femme au tailleur s’était levée à l’appel de son nom et pénétra dans un bureau au mobilier imposant. Devant le meuble principal, deux fauteuils étaient déjà occupés. Il ne lui restait qu’une chaise.
L’huissier s’éclipsa. Elle s’installa, à l’avant de la chaise, les mains serrées sur les genoux, fixant son regard droit dans les yeux du personnage principal, qu’elle savait être l’Inspecteur d’Académie Inquiète visiblement, elle attendait la suite des événements. A sa droite, ne la regardant pas, un homme qu’elle connaissait trop, monsieur Passepoil, inspecteur primaire de son état, et, à l’occasion, harceleur sexuel. Ne lui avait-il pas promis une promotion rapide si elle se montrait " gentille "avec lui ? Ne l’avait-il pas menacée à la suite de ses refus répétés ? A sa gauche, une jeune femme, un bloc-notes sur les genoux la regardait avec un sourire. De compassion ?
Béatrix se leva et sortit. Dans le bureau, seule la secrétaire, qui avait pris des notes durant tout l’entretien, la salua d’un joli sourire. Béatrix se demanda pourquoi : solidarité féminine ? raisons plus personnelles ? Elle alla rejoindre son amie. Celle-ci l’attendait, et toute son angoisse se manifesta en un seul mot :
Le lundi suivant, elles avaient résolu leurs problèmes immédiats, et, quelques minutes avant l’ouverture de l’école Paul Bert de Essartville, Béatrix frappait à la porte du bureau du directeur. Celui-ci, Edgar Dunaure, un homme de haute taille à l’accent méditerranéen prononcé, aux cheveux poivre et sel, la reçut avec le sourire :
Et, tout en parlant, ils se rendirent au deuxième étage du bâtiment principal. Cette construction datant de la fin des années soixante était à peu près bien entretenue et n’avait pas trop souffert des années. La classe où elle allait désormais officier était claire, orientée sur le bâtiment annexe (l’école rouge) un bâtiment plus ancien construit en briques. Elle pouvait aussi, de ses fenêtres voir l’école maternelle et le plateau de sports. Quelques instants plus tard, dans la cour, Edgar Dunaure lui présenta ses collègues :
L’intéressé, un quinquagénaire à l’abdomen qui commençait à s’épanouir lui sourit :
Notre doyenne, Nicole Hofanne, qui est là depuis un peu plus de temps que moi. L’institutrice ainsi désignée fit à Béatrix un grand sourire :
Notre chanteur, qui a un CM2, comme toi. Un autre quinquagénaire, à l’épaisse barbe, lui déclara :
Celle-ci, une superbe blonde, portant une robe rouge moulant ses formes parfaites, inspira à Béatrix des idées que sa maîtresse n’aurait pas du tout appréciées. De plus, la voix douce, les yeux pétillants et la bouche appétissante finirent de la troubler
Le directeur prit à nouveau la parole pour lui présenter tous les autres enseignants. Mais Béatrix, encore sous le charme de Nicole Haig, ne prêta que peu d’attention à ceux-ci, hommes et femmes, qui lui semblèrent ternes par rapport aux anciens de l’école. Puis, la cloche retentit et les élèves se rangèrent, plutôt mal que bien, sous le préau. Un vacarme épouvantable régnait. Le silence se fit cependant quand les maîtres s’approchèrent chacun de son rang respectif. L’ordre régnait lorsque les rangées, une à une commencèrent à monter dans les étages. Le directeur accompagna Béatrix et ses élèves jusqu’à leur classe puis, après avoir présenté la nouvelle institutrice aux enfants, s’éclipsa.
Rien. Pas un bruit. Pas un doigt levé… Si, un, qui appartenait à une fillette au teint clair.
Les autres élèves s’agitèrent et commencèrent tous ensemble à avancer leurs arguments :
Et autres arguments du même acabit. Béatrix prit la parole.
Les enfants, surpris, n’eurent aucune réaction. Cette démarche les surprenait, eux qui avaient déjà, cette année usé quatre enseignants en deux mois. Aucun de celles et ceux qui étaient passé avant celle-ci n’avaient eu ce type de démarche. On leur demandait leur avis et on s’engageait à le respecter ? C’était nouveau pour eux. La lecture du tableau les surprit encore plus, et leur discussion fut brève. Ils allaient, d’enthousiasme, adopter les propositions de cette étrange meuf et la suivre dans son projet. Si bien qu’au retour de Béatrix, le vote ne fut qu’une formalité. L’unanimité s’était faite autour de son projet. Et, dès ce moment, l’attitude de ces enfants difficiles changea. On les vit travailler sans relâche, apprendre leurs leçons, faire leurs devoirs sans rechigner. Ils étaient transformés. Le directeur de l’école n’en revenait pas. Les enseignants non plus qui interrogèrent Béatrix sur ses méthodes. Chacun voulait savoir, et, à chacun elle répondait :
Nicole Haig, qui s’était aperçue que Béatrix ressentait pour elle une certaine attirance, tenta, mais en vain, d’arracher son secret à sa collègue. Elle était quelque peu tentée par une aventure mais n’osa jamais franchir le pas et leurs relations ne dépassèrent pas le stade des désirs inavoués, de la tendresse retenue, des baisers rêvés… Ses amours avec Pauline Hespéret continuaient, orageuses parfois, mais toujours pleines de sensualité. Pauline avait trouvé un petit boulot et, toutes deux vivaient plutôt bien. L’attirance que Béatrix éprouvait pour Nicole ne nuisait pas à son couple. Béatrix était heureuse. Dans le courant de l’année, les élèves du Cm2 de Mademoiselle Chadourne participèrent à tous les concours organisés par l’inspection académique des Yvelines ou le rectorat de Versailles. Et, chose jamais vue, à chaque fois ils se distinguèrent. Premiers du concours de mathématique, ils se classèrent parmi les meilleurs au concours d’orthographe, gagnant même leur sélection pour la dictée télévisée. Ils remportèrent également un prix de projet scientifique, des accessits pour leurs travaux de rédaction, de recherche historique. Ces succès étaient si retentissants que l’inspecteur d’Académie décida d’honorer publiquement Béatrix Chadourne, en présence de Monsieur Passepoil, l’inspecteur qui avait rédigé de si mauvais rapports sur sa subordonnée. Et, le dernier jour de classe de cette année scolaire, un podium fut dressé dans la cour de l’école Paul Bert d’Essartville. Tous les officiels étaient présents. Le recteur, l’inspecteur d’Académie, la ministre chargée des écoles même. Elle était, bien entendu, suivie de la télévision. D’autres encore étaient venus, et tous les enseignants et élèves de l’école. A l’heure dite, les élèves du CM2 montèrent sur le podium. Ils portaient un énorme paquet cadeau, destiné sans aucun doute à leur maîtresse. Mais où était-elle ? Personne apparemment ne l’avait vue. On s’interrogeait. Les personnalités consultaient leur montre. N’allaient-ils pas être en retard à quelque réunion ? Tout à coup, le carton s’ouvrit… et l’on put voir Béatrix Chadourne, entièrement nue, sortir des papiers et déclarer :
Tous ses élèves applaudirent. Les officiels restèrent muets. Le cameraman filma consciencieusement. A ce jour, Béatrix a été chassée de l’enseignement. On n’aime pas le scandale dans cette grande maison. Elle a été embauchée par une chaîne de télévision où elle anime une émission de variété : " la vérité toute nue ". Le film réalisé le jour du grand scandale sert de générique. |