UN TOURBILLON DE PLUMES ...

 

UN MATIN COMME LES AUTRES.

Ce matin-là, comme chaque matin, Marjolaine Mie, une jeune et jolie maman d'une trentaine d'années, démêlait et coiffait les longs, très longs cheveux noir corbeau de Paola, sa fille de onze ans. Paola, ou plutôt "Belle Pao", comme la nommaient sa mère, ses grands-parents, et tous ceux qui l'aimaient bien.

En lissant les cheveux soyeux, la maman fit une découverte désagréable, extrêmement désagréable. Un pou! Un pou se débattait désespérément, pris entre les dents du peigne. Marjolaine hurla :

"Encore ! Saleté de bestiole ! C'est donc tous les jours maintenant! Et pourtant je fais le nécessaire ! Cela fait maintenant une douzaine de flacons de produits anti-poux de toutes sortes, de toutes origines que je te verse sur la tête ! Mais, je te le garantis, Pao, ça ne se passera pas comme ça !"

Quelques minutes plus tard, la coiffure achevée, ce fut l'heure de partir pour l'école. Belle Pao prit son cartable, Marjolaine son sac à main, et toutes deux montèrent dans leur Renault blanche. Le trajet fut court jusqu'à l'école de Lempdes où Belle Pao était élève en classe de CM2. La fillette (elle n'aimerait pas s'entendre appeler fillette) rejoignit ses camarades avec lesquels elle bavarda, comme chaque jour en attendant la sonnerie qui leur donnerait l'ordre de se ranger pour commencer une nouvelle journée de travail.

La maman, quant à elle, se dirigea d'un pas nerveux en direction de Bertrand Versé, l'instituteur qui avait en charge sa fille. Celui-ci, un homme de taille plutôt petite, le cheveu rare, bavardait, comme chaque matin, avec ses collègues. En la voyant s'approcher, il se détacha du groupe, éteignit sa cigarette et s'approcha, le sourire aux lèvres.

"Bonjour, Madame Mie..."

Elle ne le laissa pas poursuivre.

"Bonjour, Je viens encore une fois pour ces satanés poux. Belle Pao en est encore infestée !

- Mais vous savez bien que je fais le nécessaire pour prévenir les parents des élèves de ma classe et..."

Elle le coupa encore.

"Je sais. Je le sais très bien. Et je ne vous en veux pas, absolument pas, mais Visible (Benjamin Visible était le directeur de l'école) ne fait rien, lui !

- ... (il ne sut quoi dire)

- Alors, je lui ai apporté un cadeau.

- Un cadeau ? Un cadeau ? Pour le directeur ? Vous m'étonnez !

- Une fois n'est pas coutume. Pourrais-je le voir?

- Il ne devrait pas y avoir de problème. Je pense qu'il acceptera de vous parler."

Et tous deux se rapprochèrent du cercle que formaient les enseignants. Cette assemblée était présidée par Benjamin Visible, un homme de taille moyenne, au poil noir, au regard sombre. Il arborait fièrement une moustache à la Gauloise. Vissée sur sa tête, une casquette de marin surprenait dans cette région très éloignée de la mer.

Marjolaine sortit de son sac à main un petit paquet. Celui-ci était enveloppé dans un joli papier cadeau, lui-même entouré d'un ruban de couleur noué avec goût.

Dans le même temps, un observateur aurait pu voir, dans un parfait mouvement d'ensemble, les élèves de CM2, prévenus par Belle Pao, se rapprocher lentement et, chose étonnante, silencieusement, jusqu'à former un cercle entourant le groupe des maîtres. Quelques coups de coude, quelques sourires entendus laissaient seuls supposer qu'ils s'attendaient à quelque chose d'inhabituel.

Marjolaine tendit le paquet, accompagné de son plus beau sourire, au directeur de l'école. Celui-ci ne put cacher sa surprise. Il n'était pas, c'est le moins qu'on puisse dire, en très bons termes avec cette mère d'élève qui ne partageait pas ses opinions sur de nombreux problèmes. On pouvait dire qu'elle était l'une de ses (Marjol) ennemies. Néanmoins, il défit le nœud et déballa son cadeau...

Dans un petit pot de verre, six poux ! Jolis ! Superbes ! Séduisants ! Admirables ! Magnifiques ! Extraordinaires! Merveilleux ! Prodigieux ! Splendides ! Sublimes ! Des amours de poux !

Gros ! Enormes ! Gigantesques ! Formidables ! Obèses ! Gras à souhait ! Des phénomènes ! Des poux de compétition! Des sumos parmi les poux ! Visiblement, le sang de Belle Pao était d'une excellente qualité gastronomique, aussi bien que nutritive, pour ces insectes.

Les enseignants, et surtout Bertrand Versé, ne purent se retenir de rire. Mais ils firent de leur mieux pour le cacher. Les enfants, qui s'étaient encore un peu plus rapprochés par désir de ne rien manquer de la scène, éclatèrent, eux, d'un rire tonitruant qui égaya toute la cour de récréation. Jamais on n'avait vu autant de gaieté dans cet espace.

"Voilà ce que j'ai trouvé, ce matin encore, dans la chevelure de ma fille ! Et depuis plusieurs semaines que je vous signale quotidiennement la présence de ces parasites dans votre école, vous n'avez rien fait!

- Mais... Madame... Mie... je vais... je vais... immédiatement... je vais avertir toutes les familles et demander, exiger même le traitement des enfants atteints.

- J'espère bien ! Car la prochaine fois, c'est dans, ou plutôt, sous votre casquette que je les mettrai !"

Et, sans ajouter un mot, Marjolaine Mie tourna brusquement les talons, se dirigea sans se retourner vers sa voiture. Benjamin Visible avait encore la bouche ouverte. Il n'avait eu ni le temps de répondre ni celui de s'excuser.

Le directeur de l'école, profondément vexé, appela un enfant (un petit qui n'avait pas compris ce qui se passait) et l'envoya appuyer sur le bouton de la sonnerie, tandis que les enseignants faisaient de leur mieux pour ne pas éclater de rire.

Disciplinés, les enfants allèrent aussitôt se ranger. Mais leur calme était tout relatif. Les enseignants les rejoignirent, comme à leur habitude, tranquillement, paisiblement et lentement, mais le maître de CM2 était quelque peu inquiet : comment allait-il ramener le calme dans sa classe ? Ses élèves avaient été initiés par Belle Pao à ce petit esclandre qui avait tourné, une fois de plus, le directeur en ridicule et ils en étaient tout réjouis, tout excités. Allons, pensa-t-il, je vais improviser. Ce ne sera pas la première fois. Depuis plus de vingt ans que j'enseigne, je me suis trouvé devant des situations autrement plus difficiles.

 

DANS LE "CLAPIER" DE BERTRAND VERSE

Les élèves étaient rangés devant leur "clapier" comme aimait dire, sans animosité mais avec, au contraire, une certaine affection, Bertrand Versé en parlant de la classe préfabriquée où il officiait. Toute personne un peu habituée aux enfants aurait pu sentir la nervosité, l'électricité qui habitait le système nerveux de ces jeunes enfants.

"Avancez ! Et en silence !"

Les enfants étaient dans le couloir et se défaisaient des quelques vêtements (surtout casquettes et chapeaux dont le maître interdisait le port à l'intérieur) susceptibles de les gêner en classe. Il faisait chaud et beau en ce mardi de printemps et ils ne portaient ni manteau ni écharpe ni le moindre paletot ni...

Une rumeur commença à enfler.

"Et on se tait. Dorénavant, vous êtes en classe. La récré est finie !"

Un à un, les enfants se dirigèrent vers leur place, déballèrent leurs affaires et s'assirent, attendant avec curiosité ce qu'allait faire l'enseignant.

Celui-ci feuilletait rapidement l'un de ses vieux cahiers, un cahier à la couverture vieillie, au papier jauni, aux pages cornées par une vingtaine d'années de service... Un cahier d'une épaisseur anormale en raison des papiers de toutes sortes et de toutes tailles qui étaient glissés entre les pages. Bertrand Versé possédait toute une collection de ces recueils, empilés sur une étagère au fond de la classe.

"Sortez vos cahiers d'orthographe... Ecrivez la date... Dictée..."

Le mécontentement des élèves se fit évident. Bertrand Versé fit mine de ne pas l'entendre et commença à dicter, s'arrêtant pour répéter chaque groupe de souffle ou chaque groupe de sens, voulant éviter à ses élèves de faire trop de fautes :

"Les poux des hiboux sont, n'en doutez pas, plus doux et plus mous que la plupart des poux. Si, un jour d'août, vous apercevez des poux sur vos genoux, vous en serez surpris car les poux ne se trouvent ni sur les cailloux, ni sur les choux, ni sur les joujoux, ni sur les genoux. Seuls les hiboux (et, n'écrivez pas cela, certaines jeunes filles de ma connaissance) et les autres êtres vivants porteurs de plumes ou de poils peuvent en accueillir."

Les élèves hésitaient entre le rire que leur inspirait cette dictée de circonstance et le sérieux de l'exercice. Une dictée est une dictée, et il faut l'aborder avec concentration, avec attention, car il n'est jamais agréable de se voir attribuer un "zéro". Les parents ont toujours une réaction négative devant ce chiffre. Et on se demande bien pourquoi puisque, par ailleurs, ils l'apprécient fort lorsque, sur les cahiers ou bulletins de notes, il est précédé d'un "deux", qu'ils préfèrent les chèques ou billets qui en portent plusieurs...

Les cahiers ramassés, le maître donna aux élèves une poésie à copier et à illustrer. Celle-ci figurait dans leur livre de français et s'appelait (fallait-il y voir un hasard ou plutôt une marque évidente du sens de l'à propos de Bertrand Versé ?) "Splendeur des insectes" et était l’œuvre d'Emile Verhaeren. Pendant ce temps, il allait corriger les cahiers, voulant, comme il en avait l'habitude, les restituer le plus tôt possible aux élèves.

Le travail de chacun achevé, les notes furent énoncées :

"Pauline vingt, c'est très bien. On reconnaît sans peine les spécialistes des poux."

Belle Pao se leva, faisant une grimace à son maître. Elle n'aimait pas s'entendre appeler ainsi, et lui, qui le savait fort bien, la faisait enrager, souvent, très souvent. Espérait-il cacher aux yeux des autres la préférence qu'il éprouvait pour cette fillette bonne élève, franche, et jolie ? Personne n'était dupe, mais personne ne lui en voulait car il était d'une justice sans faille. Les autres notes suivirent, allant jusqu'au "zéro" tant redouté, toutes assorties d'un commentaire qui se voulait humoristique (et pas toujours apprécié).

Et la journée se poursuivit sans autre incident ou presque. Benjamin Visible (l'homme invisible, disaient les élèves) ne sortit pas, sauf pour aller déjeuner, de son bureau où il demanda à Bertrand Versé de le rejoindre durant la récréation de dix heures. Le maître d'école en sortit très agité. Visiblement, une altercation l'avait opposé à son directeur. Les élèves l'interrogèrent à ce sujet. Il ne voulut pas leur répondre. Personne n'en entendit parler. Même la mère de Belle Pao n'en sut rien lorsque, le soir, informée de l'incident par sa fille, elle appela l'instituteur pour lui demander si le petit scandale du matin lui avait causé quelque ennui. L'homme invisible n'avait jamais apprécié les bonnes relations que Bertrand entretenait avec les parents d'élèves.

 

UNE PROMENADE DANS LES COLLINES

La ville de Lempdes est bâtie à flanc de coteau. A ses pieds s'étend la plaine de la Limagne, la riche plaine à céréales du Massif Central. Les coteaux, autrefois couverts de vigne, portent aujourd'hui de nombreuses habitations. En effet, sise à seulement quelques kilomètres de Clermont-Ferrand, Lempdes accueille de nombreux habitants, des gens qui n'ont pas souhaité vivre vraiment en ville mais ne souhaitent pas être trop éloignés de leur lieu de travail. Néanmoins, une importante zone verte a été préservée, et c'est là que, chaque mercredi, la plupart des enfants de Lempdes, et notamment Belle Pao, vont se promener, jouer, construire des cabanes, explorer la nature...

Ce jour là, il faisait un temps superbe et Belle Pao se promenait en bavardant avec sa mère. De temps à autre, on entendait des coups de fusil. C'était le jour de la battue annuelle qui a pour but de réduire le nombre des corvidés, pies, corbeaux... dont le nombre est trop grand. A l'occasion, Marjolaine Mie montrait à sa fille une plante, un oiseau lui apprenait à les reconnaître... Elles parlaient aussi de la sixième qui approchait, des petits soucis que rencontre une jeune fille à l'approche de l'adolescence, de tout et de rien... Au bout d'une heure de promenade environ, elles s'assirent, le dos appuyé à un arbre, regardant vaguement le ciel.

"Regarde, Pao. Un milan royal."

Le magnifique oiseau planait, sans effort apparent, dessinant des cercles concentriques. Il avait dû repérer, tout près d'elles, une proie. Sans échanger un mot supplémentaire, miracle de la télépathie, elles suivirent le rapace du regard, attendant d'assister à son piqué.

Tout à coup, brisant le calme de la nature, un coup de feu retentit. Un claquement sec et brutal. Le milan disparut derrière un tourbillon de plumes puis sembla comme propulsé brutalement vers le ciel. Puis, lentement, il commença à tournoyer et tomba en une vrille qui alla s'accélérant. L'oiseau, heurta les branches de l'arbre. Celles-ci, heureusement le ralentirent, et c'est presque doucement qu'il heurta le sol, tout à côté de Belle Pao et sa mère.

Toutes deux avaient regardé la scène sans ouvrir la bouche, sans bouger, paralysées qu'elles étaient à la vue du drame qui se déroulait sous leurs yeux. Elles restèrent encore immobiles quelques secondes puis se précipitèrent vers l'oiseau.

"Il n'est pas mort ! Il respire encore! hurla Belle Pao.

- Ne crie pas, il a bien assez peur."

L'oiseau fixait sur elles de grands yeux d'or où l'on pouvait lire la surprise, la souffrance, la terreur...

Marjolaine essaya de le prendre, mais dut reculer, effrayée par le fort bec crochu qui la menaçait. L'oiseau semblait fermement décidé à défendre chèrement sa vie. Il sifflait agressivement, son regard était maintenant plein de colère et de fureur.

Alors Belle Pao, prise d'une inspiration subite, retira son tee shirt et couvrit la tête du milan pour l’empêcher de voir. Très vite, le rapace se calma. Alors, Marjolaine le prit, délicatement, tenant les serres acérées de la main droite et elles partirent vers la ville.

Elles passèrent à leur maison pour que Belle Pao pût se vêtir. Marjolaine posa l'oiseau sur le siège arrière de sa voiture, la tête toujours couverte, et elles se rendirent chez le vétérinaire qui officiait à l'autre bout de la commune. Durant tout le trajet, Belle Pao fit ses commentaires sur le chasseur qui avait tiré. Toutes les insultes qu'elle connaissait, et sa mère ne pensait pas qu'elle avait un tel vocabulaire, elle les adressa à cet abruti, ce barbare, ce bâtard, cette brute, ce con, ce couillon, ce crétin, ce débile, ce fumier, cet imbécile, ce paumé, ce sadique, ce salaud, ce saligaud, ce salopard, ce taré, ce vandale, ce vaurien, ce voyou, ce...

Ce qu'elle lui ferait lorsqu'elle saurait qui il était ?

Les supplices chinois, les tortures les plus sophistiquées n'étaient que rigolade en comparaison de ses projets à son égard.

Elle dut s'interrompre, sa mère ayant stoppé la Renault devant la clinique vétérinaire. Alors elle ne pensa plus qu'à l'oiseau. Les quelques minutes d'attente (un autre animal était entre les mains du praticien) lui semblèrent des heures. Elle tournait en rond, regardait la porte de la salle de soins, pestait, piaffait comme un cheval ombrageux. Enfin, ce fut l'instant. Sa mère posa le milan sur la table de soins, et le vétérinaire l'examina. Un examen long et minutieux.

"Je vais devoir l'opérer.

- Vous le sauverez ?

- Avec de la chance, oui. Il a de nombreux plombs dans le corps, une aile et une patte cassées, mais, apparemment, aucun organe vital n'est atteint. Si son cœur tient, il guérira. Maintenant, allez faire un tour et revenez dans deux heures.

Et je ne veux pas te voir avant !" ajouta-t-il à l'intention de Belle Pao.

- Bien docteur, dit Marjolaine.

- Si je peux pas faire autrement, dit la fille, boudeuse."

Et toutes deux sortirent, après avoir fait une dernière caresse à l'animal.

Pour tuer le temps, et aussi refaire le plein des réserves, elles se rendirent au super marché. Pendant que sa mère remplissait son chariot, Belle Pao faisait des projets.

"Demain, je vais l'emmener à l'école... Et il ne me quittera pas... Je vais m'occuper de lui... Je le soignerai si bien que je l'apprivoiserai... Il n'aimera plus que moi... Tiens ! Je vais l'appeler Bertrand... Le maître se moque bien de moi en m'appelant n'importe comment, alors, c'est bien mon tour...

Et, quand j'irai me promener, Bertrand se posera sur mon épaule, ou volera à côté de moi... Et si quelqu'un m'embête, il me défendra...

Et patati et patata..."

Marjolaine ne disait rien. Elle connaissait bien sa fille et savait que, lorsqu'une idée occupait son esprit, rien ni personne ne pouvait faire taire cette bavarde incorrigible. Mais ce genre de crise ne durait guère. La raison reprenait généralement bien vite le dessus. Dès ce soir, elle tiendrait des propos plus sensés.

Le temps passa. Belle Pao et sa mère retournèrent chez le vétérinaire pour aller prendre des nouvelles du blessé.

La tête de l'oiseau était recouverte d'un capuchon de cuir semblable à celui qu'utilisent les fauconniers pour leurs animaux.

"Il n'a pas trop de mal. J'ai broché les os de l'aile et de la patte, car, chez les oiseaux, les fractures se ressoudent généralement mal. Il a surtout été très choqué en raison de sa peur. Et je lui ai mis un chaperon pour qu'il ne puisse pas voir. Cela lui évitera d'être effrayé et de risquer de nouvelles blessures.

- Alors, il vivra ? Il se remettra bien ? Il ne sera pas handicapé ?

- Mais bien entendu, jeune fille. Ce soir, tu lui donneras une bonne part de viande crue, tu le feras dormir sur un coussin de chiffons, et demain, tu l'emporteras au refuge.

- Ah non ! Bertrand reste avec moi. Il ne partira que lorsqu'il sera guéri.

- Sois raisonnable. Un oiseau sauvage, et à plus forte raison un rapace, n'est pas fait pour vivre dans une maison. Il sera malheureux et va dépérir.

- Je suis certaine que non. C'est moi qui l'ai sauvé, c'est moi qui serai son infirmière ! N'est-ce pas maman ?

Marjolaine, persuadée que sa fille changerait bientôt d'avis, l'apaisa.

- Nous allons le prendre, et dès qu'il semblera manifester des signes d'ennui, nous le porterons au refuge. Entendu, jeune fille ?

- Ouais. D'accord. Mais je suis certaine qu'il ne voudra pas me quitter. A propos, docteur, est-ce un mâle ou une femelle ?

- Un mâle, qui portera bien son nom de Bertrand. Une femelle aurait été plus grosse d'un tiers. Mais au fait pourquoi Bertrand ?

- Euh... Comme ça.

- C'est le prénom de son instituteur, moucharda la mère.

- Ah ! Bon. Il lui ressemble ? Il a le nez crochu ? Des ongles en forme de griffes ?

- Non. C’est seulement pour me moquer un peu de lui. Il se moque toujours de moi.

- Bien. Mais j'ai d'autres animaux à voir. Vous m'excuserez ?

- Bien sûr, docteur. Au revoir.

- Au revoir Madame. Au revoir jeune fille.

- Au revoir.

- A propos, j'ai passé une poudre insecticide sur votre milan. Il était couvert de poux et autres parasites.

- Merci ! Merci beaucoup ! Merci, du fond du cœur ! Un grand merci, surtout pour les poux !" déclara Marjolaine au vétérinaire qui ne comprit pas la raison d'un tel enthousiasme dans ses remerciements.

De retour à la maison, Belle Pao installa Bertrand sur un tas de chiffons placés dans un carton. Cela fait, elle découvrit la tête de l'oiseau et commença à lui parler :

"Il ne faut pas avoir peur de moi. Je ne suis pas méchante, tu sais. Je ne veux que ton bien. Je m'appelle Paola, Belle Pao plutôt. Et toi, tu es Bertrand, Bertrand le milan. Nous allons être deux amis inséparables."

L'oiseau regardait, avec, dans ses yeux jaunes, moins de frayeur qu'il n'en avait montré à l'instant de leur rencontre. Avait-il compris qu'il était en terrain ami, ou était-ce l'effet de l'anesthésie?

Belle Pao lui parla longtemps, puis alla dans la cuisine chercher des morceaux de viande. Le rapace, après quelque hésitation, engloutit voracement sa ration. Lorsque vint l'heure de réviser ses leçons, Belle Pao se mit à plat ventre devant lui. Avait-elle l'intention de lui faire apprendre l'orthographe, la grammaire ou quelque autre leçon ?

Et Belle Pao s'endormit, couchée devant la caisse, son livre d'histoire ouvert à la page du jour. Sa mère, en venant comme chaque soir border ses draps, la trouva ainsi, un sourire ravi aux lèvres. Alors, sans la réveiller, sans effacer ce sourire radieux, elle la prit dans ses bras et la porta sur son lit.

 

 

 

CHASSE AU VOL

Chevauchant hardiment sa blanche haquenée, Damoiselle Pauline de Lempdes avançait sur la plaine. Elle fêtait ce jour ses seize printemps. A ses côtés, ses invités, les jeunes seigneurs et châtelaines des environs formaient une troupe impressionnante de beauté, de force et de jeunesse. Ils étaient vêtus de leurs robes, de leurs pourpoints les plus vivement, les plus richement colorés. Les hennins des dames formaient comme une forêt bleu pâle. Chacun avait le poing levé, un poing protégé par un épais gant de cuir, surmonté d'un oiseau de proie attaché par une courte longe. Chacun des rapaces, qu'il soit de haut ou de bas vol, portait à la patte un grelot doré. Certains seigneurs avaient adopté l'autour, d'autres le pèlerin, le hobereau, le gerfaut ou l'épervier. Damoiselle Pauline, quant à elle, portait un milan royal, qui, les ailes légèrement écartées semblait dire, par son port, aux autres oiseaux chasseurs :

"C'est moi le plus fort, le plus puissant, le plus beau, le mieux dressé d'entre vous tous. Le fauconnier qui s'est chargé de mon affaitage est le meilleur de tous les fauconniers de la province d'Auvergne. Admirez-moi".

Devant eux, battant les fourrés, la troupe des rabatteurs (des serfs recrutés pour l'occasion) avançait sous les ordres de l'intendant Bertrand. L'un d'eux, si peu important qu'on l'avait surnommé "Invisible", essayait de faire le moins d'efforts possibles. Mais l'intendant veillait et n'hésitait pas à se servir de son fouet pour donner du courage et de l'énergie à ce fainéant.

Soudain, à quelque cinquante pas devant la troupe, un magnifique faisan, aux couleurs mordorées, prit son essor. Dame Pauline ôta le chaperon qui aveuglait son milan et lança le rapace vers le ciel : "A la vol ! A la vol ! Tue ! Tue !". Sire Régis, désirait impressionner Dame Pauline dont il était amoureux. Il lança, quant à lui, son pèlerin.

Les deux oiseaux n'eurent pas un regard l'un pour l'autre. Tous deux avaient décidé d'adopter une tactique de chasse différente, celle qui était la plus adaptée à leur morphologie, à leur vie à l'état sauvage. Le faucon s'éleva à tire d'ailes vers le ciel, jusqu'à presque disparaître à la vue de son maître. De là-haut, il allait plonger, à une vitesse folle, sur sa proie, n'ouvrant ses ailes qu'à la dernière seconde. Le milan, dont le vol semblait plus lourd, s'éleva lentement en apparence, poursuivit le faisan qui lui avait été signalé, le rattrapa et le saisit entre ses serres. Au même instant arrivait le chasseur de sire Régis.

Les deux châtelains avaient quitté le groupe et avaient lancé leurs chevaux à la poursuite des oiseaux. Chacun rappela son favori en lui tendant le pât et le reprit au poing.

"J'ai encore gagné, sire Régis ! Mon chasseur est bien plus efficace que le vôtre !

- Détrompez-vous, Dame Pauline, si mon pèlerin a laissé votre milan le gagner de vitesse, c'est par pure courtoisie. Il savait que c'était votre oiseau et l'a laissé remporter la course.

- Depuis quand les faucons, aussi bien dressés fussent-ils, se piquent-ils de galanterie ? Depuis quand savent-ils lire un calendrier ?"

Et, dans un grand éclat de rire, Dame Pauline lança son cheval au galop et rejoignit le groupe. Sire Régis, légèrement vexé la suivait à quelques pas.

Et la chasse continua. Le milan de Dame Pauline remporta tous ses duels avec les autres oiseaux de la compagnie, et l'intendant Bertrand avait chargé, surchargé même "Invisible", son souffre douleur, de lapins, perdreaux, faisans, et toutes sortes de gibier à plume ou à poil.

Au matin, Belle Pao se réveilla. Elle avait toujours aux lèvres le sourire de son rêve. Après les quelques secondes nécessaires pour se souvenir de l'événement de la veille, elle sauta du lit et s'approcha de Bertrand, son milan. Celui-ci avait apparemment bien dormi et la regarda s'approcher, sans manifester la moindre crainte. Belle Pao courut à la cuisine pour aller chercher de la viande. Le rapace dévora tout ce qu'elle lui proposa.

 

 

 

LES DEUX "BERTRAND"

 

Quelques minutes avant la sonnerie, Marjolaine stoppa sa voiture blanche devant l'école. Comme à leur habitude, les enseignants bavardaient. Ils avaient adopté, encore une fois, une disposition en cercle. En voyant que cette mère d'élève descendait de voiture, et se dirigeait, une fois encore, vers leur groupe, Benjamin Visible consulta sa montre, constata avec joie qu'il était huit heures et demie et opéra un repli stratégique vers son bureau, envoyant un élève appuyer sur le bouton de la sonnerie. Pour une fois, les enfants de cette école commenceraient la classe à l'heure juste. C'est plutôt rare, et ce jour-là, nombreux seraient les retardataires.

Bertrand Versé se rapprocha de la mère de Belle Pao

"Bonjour Madame Mie.

- Bonjour Monsieur.

- Je ne vois pas votre fille. Est-elle malade ?

- Non, rassurez-vous, elle attend dans la voiture le résultat de notre conversation.

- Il s'est passé quelque chose de grave ?

- Non, rien du tout, mais... dites-moi, aimez-vous les oiseaux ?

- Oui, un peu.

- Et les rapaces ?

- Eux, ils me fascinent. J'admire leur élégance, la beauté de leur vol, la vitesse de leurs piqués...

- Hier après-midi, nous avons recueilli un milan blessé. Belle Pao souhaite l'avoir en classe. Qu'en pensez-vous ?

- J'accueillerai cet oiseau avec joie. Cela donnera à tous, et à moi le premier, l'occasion de voir de près l'un de ces oiseaux de proie. Maintenant, excusez-moi de vous quitter si rapidement, mais je dois rejoindre mes élèves. Ils sont entrés tout seuls et doivent faire bien du bruit. Au revoir Madame.

- A bientôt."

Et Bertrand Versé courut vers sa classe.

Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvrit, et Belle Pao entra, poussant un landau dans lequel était installé, aussi confortablement que possible, Bertrand (le milan, pas l'instituteur). Un roi dans son carrosse n'aurait pas été mieux traité.

Les élèves, tout comme le maître en restèrent bouche bée. Mais ce silence ne dura pas et, bientôt, une rumeur s'enfla. Les questions se pressaient, se bousculaient, en étaient devenues incompréhensibles. Les élèves se levaient, se déplaçaient, se bousculaient pour aller voir l'oiseau. C'était un brouhaha indescriptible. Et Bertrand (l'instituteur) hésitait à utiliser sa voix, qu'il savait pour le moins forte, pour ramener le calme. Il craignait d'effrayer l'oiseau. Mais, devant les gestes de Belle Pao, le calme revint peu à peu. Le maître demanda à son élève de prendre sa place pour raconter comment elle se trouvait en possession de ce milan. La Fillette raconta toute son aventure de la veille. Puis les questions fusèrent :

"T'a-t-il mordu ?

- Non, il est trop gentil.

- Lui as-tu donné un nom ?

- Euh... Oui (ce "oui" était à peine audible)

- Comment s'appelle-t-il ?"

Belle Pao fit mine de ne pas avoir entendu.

"Oui, comment s'appelle-t-il ? renchérit le maître.

- Euh.. Et bien... je l'ai appelé... Bertrand.

Le nom était sorti si vite que personne n'avait bien entendu. Le maître seul avait compris, aidé en cela par la gêne de la fillette.

- Mais, c'est un fort joli nom, vraiment bien choisi. L'as-tu choisi pour la couleur des yeux, la forme du nez ? Pour quelle raison ?"

Belle Pao était horriblement gênée, ne savait quoi répondre. Puis se lança.

"C'est parce que vous vous moquez toujours de mon nom. Alors, j'ai voulu me moquer du vôtre.

- Et moi qui pensais naïvement que tu lui avais donné ce nom parce que tu m'aimes bien.

- Mais je vous aime bien, M'sieur.

- Mais je le sais bien, jolie Paulette.

- Vous voyez, vous recommencez.

- Et oui, c'est mon plus gros défaut."

Il s'approcha de l'oiseau :

"Bonjour ami Bertrand. Vous portez le plus joli des noms. D'ailleurs j'ai le même, c'est dire. J'espère que vous vous plairez parmi nous."

La fin de la phrase fut presque inaudible car un immense fou-rire s'était emparé de tous les élèves. Il fallut bien longtemps et bien des efforts à Bertrand (l'instituteur) pour ramener le calme.

Puis chacun reprit sa place, le maître derrière son bureau, l'élève derrière son pupitre. A côté d'elle, le landau contenant un rapace dont les yeux, à l'instant débarrassés du chaperon, scrutaient, avec curiosité plus que frayeur, chacune et chacun, chaque coin, chaque recoin de la classe.

"Nous avons donc, aujourd'hui, un nouveau membre dans notre assemblée. Il nous faut faire sa connaissance. Savez-vous reconnaître un milan dans le ciel ?"

Il y eut d'abord un silence, puis des doigts se levèrent.

"Antoine ?

- Ben, ça vole sans battre des ailes.

- Jacques ?

- Et ça crie en été.

- En effet, un cri qui ressemble un peu à celui du chat. Et, en patois auvergnat, le milan s'appelle "Mialeu". Est-ce une déformation de son nom ou est-ce parce qu'il miaule ? Je l'ignore. Mais, comment le reconnaît-on au premier coup d’œil ? Gabriel ?

- Ils ont la queue fourchue. Les mâles sont plus gros, ont de plus belles couleurs et ont la queue plus fourchue que les femelles.

- Tu te trompes. Ceux qui sont plus colorés et ont la queue plus fourchue peuvent être des mâles ou des femelles. Ces différences ne sont pas des différences de sexe. Sortez votre dictionnaire, et cherchez la définition du "milan" Vous recopierez celle-ci dans vos cahiers de sciences naturelles."

Les élèves se mirent au travail. Le maître lui-même se mit à la recherche de l'un de ses vieux cahiers. Très vite, bien avant que ses élèves eussent achevé leur tâche, il avait trouvé celui dont il avait besoin.

"Il possède une encyclopédie complète dans ses cahiers" disaient ses collègues en se moquant.

Mais ils n'hésitaient jamais, aussi souvent que nécessaire, à lui demander tous les renseignements dont ils ne disposaient pas.

 

 

LE MILAN

"Régis (Belle Pao lança un sourire mutin en direction de son "amoureux"), qu'as-tu trouvé ?

- Milan, genre d'oiseaux rapaces propres aux régions chaudes et tempérées de l'ancien monde. Le milan noir et le milan royal sont communs en France.

- Que pensez-vous de cette définition ? Savons-nous, après l'avoir lu des choses que nous ignorions ?

- J'ai appris qu'il y avait deux sortes de milans, déclara Daniel, un bon gros père.

- Oui, et c'est le milan noir qui a la queue la moins fourchue. Bertrand est un milan royal.

- Qu'est-ce que l'ancien monde ? demanda Michel, le terrible de la classe.

- Michel, qu'a découvert Christophe Colomb ?

- L'Amérique, M'sieur.

- Quel autre nom donne-t-on à l'Amérique ?

- Les Etats-Unis, M'sieur.

- Mais encore. Qui le sait ?"

Plusieurs élèves levaient le doigt, un genou sur le siège, se grandissant autant que possible pour se donner toutes les chances d'être remarqués par le maître.

"Gaëlle ? "

L'instituteur, ne voulant prendre aucun risque, interrogea une élève dont, il en était certain, la réponse serait juste et complète.

"On appelle aussi l'Amérique le Nouveau Monde. L'Europe, l'Asie et l'Afrique forment l'Ancien Monde, autrement dit celui qui était connu à l'époque de Christophe Colomb.

- Donc, le milan vit sur ces trois continents. Mais voulez-vous en savoir plus sur les milans ?

- Oui, M'sieur. Oui, M'sieur."

Le cri était presque unanime. Seuls, certains élèves, lucides, ne répondirent rien, sachant que, quelle que soit leur réponse, cela ne pouvait signifier que travail, efforts, exercices et autres tortures.

" Tout d'abord, nous allons peser Bertrand (le milan, pas moi), le mesurer. Dans tous les sens. Mais, pour ne pas le blesser, nous allons le manipuler avec précautions. Paulette, couvre-lui à nouveau la tête. Il pourrait être effrayé par nos manipulations"

Pendant que Belle Pao et Charlotte procédaient aux mesures, Bertrand (l'instituteur) installait, en l'attachant, un plateau de bois sur l'antique Roberval, remettait la balance en équilibre. Lorsque tout fut installé, il prit délicatement Bertrand (le milan) et le posa sur le plateau. Deux élèves furent chargés d'effectuer la pesée. Le maître envoya Michel noter les résultats au tableau. Pendant ce temps, il ne ferait pas de bêtises. Puis il interrogea les expérimentateurs :

" Quelle est la longueur de son corps ?

- Quarante-cinq centimètres.

- Et son envergure ? Si vous préférez, la distance d'un bout de l'aile à l'autre ?

- Un mètre et soixante-quinze centimètres.

- Et son poids ?

- Sept cent grammes.

- Bertrand est un mâle. Si nous avions affaire à une femelle, nous aurions trouvé des mesures plus importantes. Sa taille aurait avoisiné soixante centimètres, son envergure aurait pu atteindre deux mètres et son poids un kilo. Chez les rapaces, la femelle est généralement plus grosse que le mâle d'un tiers environ. C'est pourquoi les fauconniers nomment tiercelets les mâles des oiseaux de proie qu'ils dressent. Maintenant, je vais répondre à vos questions... en me servant de mon cahier, bien sûr, car je ne sais pas tout.

- Les milans, ça niche où ?

- Pour les rapaces, on ne dit pas un nid, mais une aire (il écrivit le mot au tableau). Le milan construit la sienne en haut d'un arbre isolé. Mais, comme il est comme vous, un peu paresseux, il utilise souvent l'ancien nid d'un corbeau ou l'aire d'un autre rapace. Il se contente de le réparer et de le rendre confortable.

- Il met de la mousse dedans ?

- Oui, mais il récupère un peu de tout. Des morceaux de tissu, des sacs en plastique par exemple.

- Il pond beaucoup d’œufs ?

- Entre deux et quatre.

- Ils ont la même couleur que les œufs de poule ?

- Ils sont blancs, avec des taches violettes ou brun-rouge.

- La femelle couve longtemps ?

- La femelle, mais aussi le mâle. L'incubation dure à peu près un mois.

- Ils doivent avoir des crampes !

- Certainement... Mais comme ils se relaient...

- Et les petits volent tout de suite ?

- Non. Les poussins restent à peu près un mois et demi au nid.

- Vous avez dit les poussins. Vous vous êtes trompé.

- Non. On appelle poussins les petits des oiseaux qui n'ont pas un nom particulier.

- C'est pas les milanais ?

- Non, pas du tout. Les Milanais sont simplement les habitants de Milan, en Italie.

- Est-ce que le nom de la ville et celui de l'oiseau ont la même origine ?

- Non, je ne crois pas. Le nom savant de l'oiseau est "melvus". L'ancien nom de la ville est "Mediolanum" qui veut dire "entre deux fleuves".

- On n'en voit pas en hiver, il me semble. Est-ce qu'ils font comme les hirondelles ?

- A peu près. Les milans arrivent chez nous à la fin du mois de février ou au mois de mars et repartent à la fin du mois d'août. Si vous voulez les voir, vous pouvez aller à la montagne de la serre, tout près d'ici. Un observatoire est installé.

- Ils se perchent aussi sur les fils ?

- Non. Ils sont trop lourds.

- Ils vont loin ?

- Jusqu'en Afrique.

- Ils traversent la mer ?

- La plupart passent par Gibraltar. Là, vous voyez, au sud de l'Espagne. Maintenant, écrivez sur vos cahiers tout ce que nous venons de dire. Nous continuerons après la récréation."

Et les élèves se mirent à écrire. Un peu plus tard, la sonnerie retentit. Tous, ou presque, avaient terminé.

"Sortez en récréation. Il est l'heure.

- Maître ?

- Oui Pauline ?"

Belle Pao fit sa grimace habituelle.

"Est-ce que je peux faire prendre l'air à Bertrand ?

- Moi ?

- Pas vous, le milan ?

- Pourquoi pas ? Mais, surtout, ne lui retire pas son capuchon...

- Son chaperon. On dit "un chaperon" et non un capuchon.

- Bravo. Tu connais ce mot. Qui te l'a appris ?

- Le vétérinaire, hier soir, en me rendant mon oiseau.

- Alors, mets-lui bien son... son chaperon car il pourrait être effrayé par les autres élèves.

- Ne craignez rien. Les autres élèves de la classe et moi nous nous chargerons bien d'éviter que l'on ne crie à côté de lui.

- Mets-lui quand même son capu... pardon, son chaperon.

- Oui M'sieur."

 

 

UNE RECREATION PROLONGEE

Belle Pao chaperonna Bertrand (pas Bertrand l'instituteur, mais Bertrand le milan) et poussa son landau vers la sortie de la classe. Les élèves de la classe formaient une sorte de haie d'honneur sur le chemin qu'allait emprunter la voiture d'enfant. A travers toute la cour, des enfants jouaient, criaient, couraient... jusqu'à l'instant où voyant le convoi, ils cessaient toute activité pour se rapprocher et regarder. Le silence s'abattit sur le lieu habituellement le plus bruyant de toute la commune (si toutefois on excepte l'autoroute) de Lempdes.

Jean Brochet et Berthe Cianordeaux, les deux instituteurs chargés de la surveillance étaient, comme à l'accoutumée, occupés à bavarder sans trop regarder ce qui se passait autour d'eux. Surpris par cette absence de bruits, voyant l'attroupement qui s'était formé, se précipitèrent. Ils croyaient à un drame. Ils étaient déjà prêts à alerter pompiers, gendarmes, policiers... à faire intervenir ambulances, hélicoptères (et pourquoi pas chars d'assaut ou navette spatiale?)...

Ils bousculèrent, sans ménagement, les petits qui, placés à l'extérieur du cercle des curieux n'avaient encore rien vu, les moyens qui, placés derrière les grands avaient seulement entrevu, et enfin les grands qui, eux, placés aux toutes premières loges, voyaient tout. Le spectacle fit plus que les surprendre, il leur coupa le souffle et la voix. Les petits, qui ne voyaient toujours rien, murmuraient et bougonnaient. Les moyens, qui ne pouvaient qu'entrevoir, grognaient et ronchonnaient. Les grands, qui eux voyaient tout, rouspétaient énergiquement.

"Pourquoi nous avez-vous bousculés. Nous ne faisons rien de mal."

Les enseignants retrouvèrent tout ensemble leur souffle et leur voix. Tandis que l'une se chargeait, en hurlant et braillant, de disperser l'attroupement :

"Allez jouer ! Il n'y a rien d'intéressant ! Allez plus loin ! Ecartez-vous ! Taisez-vous ! Vous voulez une punition ? ..."

L'autre disputait, houspillait Belle Pao.

"Qu'est-ce que tu fais dans la cour avec ce landau ? Et cet oiseau? Que fait-il à l'école ? Il doit être plein de poux !

- Certainement pas ! Il a été épouillé hier soir!

- Tu es insolente ! File au bureau demander une punition au directeur."

Bertrand, le milan, affolé par ces hurlements et vociférations, s'était mis à trembler et à siffler.

Bertrand, l'instituteur, attiré par ces mêmes hurlements et vociférations, s'adressa à son collègue.

"Allons, Jean, ne la punis pas. C'est un milan que j'ai apporté ce matin dans ma classe. J'ai demandé à mes élèves de lui faire prendre l'air. Il est normal que les autres enfants aient voulu le voir. D'ailleurs, cet après-midi, un élève fera le tour des classes avec cet oiseau. Tout le monde pourra le voir. Ce n'est pas si souvent que l'on peut voir un rapace, et à plus forte raison le plus gros de nos régions, d'aussi près.

- Mais, dis-moi, comment l'as-tu eu ?

- C'est simple. Je connais, personnellement, le directeur du refuge..."

Bertrand, le milan, sentant le calme revenu, ne montrait plus sa peur.

Bertrand, l'instituteur, sentant le calme revenu, proposa à son collègue de toucher l'oiseau de proie.

"Je ne risque rien ?"

Il venait de voir l'oiseau en colère.

"Non, tu vois bien qu'il a son capuchon."

Belle Pao intervint :

"M'sieur, tout à l'heure, en classe, vous nous avez appris que l'on disait un chaperon.

- Tu as raison, Paola (pour une fois, il ne déforma pas son nom). Je ferais bien d'utiliser le mot juste."

Et tous deux, rendus complices par leurs mensonges respectifs, éclatèrent de rire. Monsieur Jean Brochet, l'autre instituteur, croyant qu'ils riaient de sa réticence à approcher le rapace, tendit une main hardie vers le dos de l'oiseau. Il le caressa doucement avant de s'éloigner.

Bertrand, l'oiseau, n'avait pas eu de réaction de crainte.

Bertrand, l'instituteur, intervint.

"Paola, lorsque tu promèneras le milan, veille à ce qu'on ne le touche pas trop.

- Pourquoi ?

- Il sera dangereux pour lui, lorsqu'il sera guéri de sa blessure, de n'avoir plus peur des hommes. S'il allait demander une caresse à un braconnier, tu te rends compte de ce qui lui arriverait ?

- Et moi ? Je veux l'apprivoiser.

- Si tu le fais, il te faut le dresser, comme le font les fauconniers. Et le garder chez toi. Tu seras responsable de lui, pour tout. Il ne pourra plus survivre dans la nature. Et puis... Je crois savoir qu'il est interdit de garder des rapaces chez soi.

- Vous êtes sûr ?

- Pas tout à fait, mais presque."

Leur conversation fut interrompue par l'arrivée de tous les enseignants, Benjamin Visible en tête. "L'homme invisible" avait la moustache hérissée, la casquette de travers. C'est à ces deux signes que l'on reconnaissait sa mauvaise humeur. Les enfants, qui regardaient l'oiseau, s'écartèrent prudemment : une taloche est si vite arrivée... Belle Pao, quant à elle, resta à proximité de son protégé, prête à voler dans les plumes de quiconque, fût-il directeur, s'aviserait de lui faire du mal.

"Ne crois-tu pas, Bertrand, qu'un tel oiseau peut blesser l'un de nos élèves ? hurla le directeur.

- Non. Il garde son capu..."

Il sentit sur lui le regard moqueur de Belle Pao.

"On lui fait porter son chaperon tout le temps qu'il est dans la cour, et, en classe, il ne peut pas voler avec son aile cassée.

- Attention, s'il arrive quoi que ce soit, tu seras responsable.

- Bien entendu.

- Et si des parents viennent se plaindre pour des poux...

- Le vétérinaire l'a entièrement débarrassé de tout parasite. Il n'en a plus aucun, lui. Ce n'est pas le cas de tous ceux qui sont dans l'école, non ?"

Benjamin Visible pâlit. Cette allusion à l'altercation de l'avant-veille ne lui plaisait pas ;

"Je t'aurai prévenu. En cas de problème, tu te débrouilleras tout seul.

- Je ne suis pas inquiet. J'assumerai."

Le directeur tourna les talons.

Les autres enseignants ne s'étaient pas mêlés de cette querelle. Ils se contentèrent d'apprécier le bel oiseau, surpris de l'impression de force qu'il dégageait, même là, blessé, dans cette voiture d'enfant...

La récréation dura, une fois n'est pas coutume, plus longtemps que les vingt minutes prévues à l'emploi du temps. Chaque élève, chaque instituteur, chaque institutrice défila pour apprécier, admirer, louer... la force, la beauté de Bertrand (pas l'instituteur, le milan bien sûr !). Et, enfin, la sonnerie retentit... Mais il était l'heure du repas de midi.

Belle Pao déjeunait à la cantine, au restaurant scolaire comme on dit maintenant. Elle emmena Bertrand (le milan) dans la classe que Bertrand (l'instituteur) ferma. Il confia sa clé à son élève :

"Tu pourras venir le voir après avoir mangé.

- Oh ! merci M'sieur.

- De rien. Demande au cuisinier un peu de viande crue pour... pour...

- Pour Bertrand.

- Oui. Mais tu sais, j'aurai du mal à l'appeler ainsi.

- Bon appétit M'sieur.

- Bon appétit Pauline

- Encore, vous vous moquez encore !

- Encore et toujours, Paulette... ou Belle Pao si tu préfères.

- Oui, je préfère. Merci ! M'sieur"

Et, après avoir déposé un baiser sur la joue de Bertrand (l'instituteur), la fillette courut vers la salle de cantine. Déjà, elle était en retard...

 

 

LEZARDS, RATS ET COMPAGNIE

 

Dès la fin du repas, Belle Pao, accompagnée du cuisinier et de ses aides, courut vers la salle de classe. Les adultes se penchèrent sur l'oiseau, lui firent mille gracieusetés. Puis, ils le regardèrent manger, de son bel appétit, les morceaux de viande qu'ils avaient apportés. Mais la fillette le rationna:

"Ne lui en donnons plus maintenant, je voudrais que mes camarades et mon maître le voient manger.

- Tu as raison. Le spectacle en vaut la peine."

Les marmitons partis, Belle Pao resta seule avec son rapace :

"Le vétérinaire et le maître ont raison... Je ne pourrai pas te garder... Mais je ne veux pas être séparée de toi... Je t'ai sauvé la vie... Tout à l'heure, je demanderai au maître comment on dresse les rapaces... Il doit bien avoir la recette dans ses cahiers... Alors, je t'apprendrai tout ce qu'un milan bien élevé doit savoir... Et tu viendras tous les jours à l'école avec moi... Pourvu que j'arrive à convaincre Maman et le maître..."

Bertrand (le milan) penchait la tête de gauche et de droite, comme s'il se rendait compte que les paroles de Belle Pao s'adressaient à lui.

Bertrand (l'instituteur), qui était entré sur la pointe des pieds, écoutait sans faire le moindre bruit. Il pensait au chagrin qu'aurait la fillette au moment de se séparer de son favori. Car, il le savait, un jour ou l'autre, cette séparation aurait lieu. Il ressortit, toujours silencieusement, pour respecter l'intimité de l'oiseau et de sa protectrice.

La sonnerie annonçant la reprise des cours retentit. Peu après, les enfants avaient, sous la conduite de l'instituteur, regagné leurs places.

"Pauline, et toi aussi, Régis. Allez faire admirer Bertrand aux élèves des autres classes. Montrez-leur bien son envergure, sa longue queue fourchue, la couleur blanche du dessous de ses ailes... Tout ce que nous avons observé ce matin.

- Oui Maître.

- Pendant ce temps, je vais corriger les comptes-rendus que vous avez rédigés ce matin tandis que vos camarades feront des maths et de la conjugaison. Vous rattraperez tout chez vous, ce soir."

Le garçon fit la grimace à l'idée d'avoir du travail à emporter à la maison. Mais la joie d'aller d'une classe à l'autre, d'être l'un de ceux qui montreraient l'animal, lui faisait si plaisir qu'il ne demanda pas à être remplacé. En outre, il aurait la joie (que Bertrand, l'instituteur, n'ignorait pas) de passer une partie de l'après-midi avec Belle Pao. La demoiselle, pour sa part, n'imaginait pas faire autre chose que rester encore et toujours avec son Bertrand chéri (le milan, pas l'instituteur)...

Après la récréation, Bertrand avait visité toute l'école... ou presque. Benjamin Visible lui avait interdit l'entrée de sa classe.

Sous le regard curieux puis étonné des élèves, un nouveau repas fut donné à l'oiseau. Bertrand maintenait le morceau de viande à l'aide de la serre de sa patte valide. Alors, de son bec puissant, il arrachait des lambeaux de viande qu'il avalait en rejetant le cou en arrière. Après avoir admiré le spectacle, les enfants commencèrent à interroger leur maître :

"Il ne mâche pas ?

- Non, un oiseau n'a pas de dents. Mais il a une poche, le gésier, qui remplit le même rôle.

- Qu'est-ce que ça mange ? Dans la nature, il ne trouve pas de viande coupée.

- Un peu de tout. Il attrape des souris, des mulots. de jeunes lièvres, des lézards, des serpents, des grenouilles... Des poissons aussi. Et même des insectes. Mais il mange aussi des cadavres d'animaux et des déchets.

- Ouah. il fait les poubelles, comme un clodo.

- Des rats, des lézards, c'est dégueulasse ! .

- Heureusement qu'ils attrapent des rats ! Sinon, nous serions envahis. Les rapaces, comme les renards et autres prédateurs, sont d'une grande utilité.

- Mon grand-père, quand il voit un milan ou une buse, il prend son fusil. Parce qu'ils viennent attraper les poules et les poussins

- Il les tue ? s'indigna Belle Pao.

- Non, maintenant c'est interdit. Mais il tire en l'air pour leur faire peur.

- Ah bon ! Sinon je lui cassais la figure, comme je le ferai au salaud...

- Surveille ton langage Pauline.

- A celui qui lui a tiré dessus quand je l'aurai trouvé.

- S'il se fait prendre, ce chasseur risque une forte amende... et peut-être même la prison. Mais, ce sont les responsables du refuge qui s'occuperont de demander une enquête."

Belle Pao grimaça. Le refuge ! Pour son Bertrand ! elle ne voulait pas en entendre parler.

"C'est vrai que ça mange les poulets ?

- Bien sûr. Comment veux-tu que les oiseaux fassent la différence entre un animal sauvage et un animal domestique ? Mais ils en mangent peu, car les rapaces ont appris à se méfier des hommes et ne s'approchent pas trop des maisons

- Mais comment il fait pour attraper les bestioles qu'il mange ?

- Vous pouvez voir les milans planer en faisant de grands cercles. Lorsqu'ils voient une proie...

- Ils doivent avoir de bons yeux ! Pas comme moi qui suis obligé de porter des lunettes.

- Ils tournent au-dessus d'elles, puis, lorsqu'ils jugent le moment opportun, ils se laissent tomber dessus.

- Et ils réussissent à tous les coups ?

- Non, la plupart du temps, leur proie parvient à s'abriter à temps.

- Comment ils font pour enlever la peau ou les plumes ?

- Ils avalent tout et ne digèrent que ce qui est utile. Ils régurgitent...

- Qu'est-ce que ça veut dire ?

- Ils recrachent, ils vomissent des boulettes où l'on trouve la peau, les os... D'ailleurs, en cherchant bien, vous repérerez l'aire d'un milan ou d'un autre rapace. Et par terre, vous trouverez de ces boulettes. On les appelle des pelotes de déjection. En les ouvrant, vous pourrez voir les restes de son repas.

- C'est vraiment crade.

- Mais non, c'est la nature. Mais si vous essayiez de parler français ? Ce ne serait pas plus mal, non ?

- Les rapaces, ont-ils des ennemis ?

- Très peu. Les corbeaux, les pies, d'autres rapaces s'attaquent aux jeunes.

- Comment il se fait qu'il n'y en a pas des millions dans le ciel ?

- Beaucoup de jeunes meurent. De faim. Car leurs parents n'attrapent pas des proies tous les jours. De plus, comme ils mangent assez souvent des cadavres d'animaux et des ordures, les milans sont souvent victimes des poisons.

- C'est triste !

- Bien sûr, mais, dans la nature, tout s'équilibre. Maintenant, nous allons cesser sur ce sujet. Il vous faut mettre par écrit tout ce que nous venons de dire... Et dépêchez-vous, si vous ne voulez pas avoir à terminer ce soir à la maison.

- M'sieur ?

- Oui, Paulette ?

- Demain, est-ce que vous pourrez nous parler du dressage des rapaces ?

- Bien sûr. Si toutefois je trouve des renseignements sur le sujet. Mais, pour les oiseaux de chasse, on ne dit pas "le dressage", on dit "l'affaitage".

- Merci, M'sieur."

Et les enfants, dans un silence tout relatif, se mirent au travail.

 

 

 

SUR LA PISTE DU TIREUR

Lorsque retentit la sonnerie annonçant la fin de la journée, les enfants, pour la plupart, avaient achevé leur travail. Régis et Belle Pao avaient même rattrapé une grande partie de leur retard en français et mathématiques. Les autres élèves rapides avaient travaillé sur fiches.

Tous les parents, ceux du moins qui venaient récupérer leurs enfants, étaient rassemblés à proximité de la porte. Ils bavardaient par petits groupes. Parmi eux, la maman de Belle Pao.

Comme à son habitude, Bertrand Visible, le directeur se planta fièrement, dès la sonnerie, devant la porte de l'école. Marjolaine s'approcha de lui. Il la vit arriver et, dans le même instant, on vit les poils de sa moustache se hérisser, sa casquette amorcer un mouvement tournant. L'homme invisible se préparait à une discussion serrée.

" Bonsoir Monsieur Visible.

- Bonsoir Madame.

- J'espère que la présence du milan de Paola n’a pas trop perturbé votre école.

- Parce que c'est vous qui avez apporté cette sale bestiole ? Votre fille ? Et dire que Monsieur Versé m'avait affirmé que c'était lui...

- Il ne faut pas lui en vouloir. Il a voulu se mettre en vedette.

- Eviter que je ne punisse sa préférée, plutôt.

- Mais non. Paola n'est pas sa préférée. Il est extrêmement juste et honnête.

- Et puis, vous venez vous plaindre des poux pour en apporter vous-même avec cet affreux oiseau ?

- Certainement pas. Les poux des oiseaux ne se transmettent pas à l'homme. Et, de plus, le vétérinaire l'a traité hier après-midi.

- De toutes manières, je vais voir Monsieur Versé. J'ai plusieurs choses à lui dire. Bonsoir Madame Mie.

- Bonsoir Monsieur."

Les enfants sortirent. Belle Pao, poussant son landau, rejoignit sa mère et toutes deux installèrent Bertrand (le milan) dans la voiture. Bertrand (l'instituteur) se rendit, quant à lui, dans le bureau de l'homme invisible. Le directeur l'avait fait appeler par un élève :

"Pourquoi as-tu raconté que c'était toi qui avais apporté ce milan ?

- Pour éviter les discussions inutiles. Brochet allait punir mon élève, et, comme il n'y avait pas de raison valable, j'ai dit ce qui me venait à l'esprit.

- Tu lui laisses tout faire, à cette gamine.

- Mais non. Tu le sais bien. C'est l'une des toutes meilleures élèves de ma classe...

- Et puis sa mère...

- Elle aime sa fille et s'en occupe de son mieux. Et puis, elle est toute prête à nous aider...

- Dis plutôt qu'elle se mêle de ce qui ne la regarde pas, qu'elle ne pense qu'à nous embêter. Je ne sais pas ce que tu racontes aux parents de tes élèves, mais ils me détestent et ne cessent de me chercher des ennuis.

- Mais je ne leur dis rien d'extraordinaire. Je leur parle uniquement du travail de leurs enfants.

- En tous cas, j'espère que, demain, cet oiseau ne sera plus là. Les milans sont des nuisibles...

- Non ! C'est une espèce protégée, et leur chasse est absolument interdite. Mais tu dois bien le savoir, toi qui es chasseur...

- Evidemment, mais ceux qui font les lois n'ont jamais vu à l’œuvre ces voleurs de poule. Des brigands ! Tiens, lorsque j'étais petit, je passais mes vacances dans la ferme de mes grands-parents. Un été, ils avaient fait couver des œufs de faisan par une de leurs poules. Les petits étaient magnifiques. Un milan les a tous volés. L'un après l'autre. Tu ne peux pas savoir combien j'ai pleuré. Depuis, chaque fois que j'en vois un, je... je...

- Tu ?

- Je pense à mon chagrin d'enfant, pardi !

- Et tu tires dessus ?

- ...

- Tu en as tué ?

- ...

- Tu n'es pas allé chasser dans les collines, hier ?

- Si, il y avait une battue aux nuisibles, pies, corbeaux...

- Et tu n'as pas tiré, par erreur sur un milan ?

- ... Non... Enfin... je ne crois pas.

- Tu ne saurais pas qui a tiré sur cet oiseau ?

- Nous ne sommes pas toujours restés groupés. Certains ont préféré chasser seuls.

- Toi par exemple.

- Oui, mais je ne suis pas le seul.

- Il va y avoir une enquête pour ce... comment dire ? ... cette erreur. Et cela va coûter très cher au coupable. Et la gendarmerie va chercher certainement parmi vous. J'espère que ce n'est pas toi.

- Tu n'as rien à craindre. Je déteste les milans, mais je respecte la loi.

- Tant mieux. Maintenant, bonsoir. Et, si, demain Paola m'apporte son oiseau, je l'accueillerai. Quoi que tu penses. Bonsoir.

- Bonsoir."

Et tous deux se séparèrent. L'un regagnant son bureau, l'autre son domicile. Peu après son arrivée, Bertrand Versé reçut un coup de télé phone de Madame Mie. Celle-ci voulait lui demander comment s'était passée la conversation avec le directeur de l'école. Bertrand la rassura, sans toutefois lui signaler la présence de l'homme invisible, la veille, dans les collines.

Pour Belle Pao, la soirée fut partagée, très inégalement, entre ses devoirs, la télévision et ses câlins au milan. Et c'est l'oiseau qui fut le principal bénéficiaire de ses attentions.

 

 

L'AFFAITAGE

Le lendemain matin, Belle Pao arriva, comme la veille, en poussant son landau. Elle déclencha, ce jour-là, moins de curiosité que la veille. Les enfants avaient retrouvé leur goût pour leurs activités coutumières : jeu de l'élastique, pogs, billes, osselets, saut à la corde... Seuls quelques élèves de la classe de Bertrand (l'instituteur) lui tenaient compagnie dans la promenade qu'elle faisait faire à Bertrand (le milan). Les maîtres et maîtresses n'avaient pas interrompu leur conversation. La moustache et la casquette de Benjamin Visible ne s'étaient pas mises en ordre de bataille. Respectant les habitudes, la sonnerie retentit dix minutes après l'heure normale d'entrée en classe. Aujourd'hui, comme la plupart du temps, aucun élève n'arriverait en retard. On ne sonnait à l'heure que lorsque quelque incident venait troubler la tranquillité des enseignants. Et, ces jours-là, les retardataires étaient foule.

La classe commença par un exercice de vocabulaire. Bertrand Versé avait inscrit, sur le tableau noir, le nom d'un grand nombre d'oiseaux. Les enfants reçurent pour mission de retrouver, en s'aidant de leur dictionnaire, le nom du petit de l'aigle, du faucon, du merle, du pigeon, du faisan... et de nombreux autres. Belle Pao intervint :

"M'sieu ?

- Oui, Pauline.

- Vous aviez promis de nous parler du dressage des rapaces.

- De l'affaitage ? Je n'ai pas oublié. Mais un peu de vocabulaire et de calcul ne vous feront pas de mal."

Et les enfants, bien qu'un peu déçus, se mirent à travailler sans plus discuter. Après le devoir de français, il fallut en passer également par les mathématiques. Et ce n'est qu'après la récréation que le maître se prépara à répondre aux questions de ses élèves. Il s'était installé, à demi-assis, sur son bureau. Près de lui, des pages photocopiées à partir d'un grand livre. Ces feuillets iraient bientôt rejoindre l'un ou l'autre des célèbres cahiers encyclopédiques de Bertrand Versé.

"M'sieur, est-ce qu'on peut dresser les milans ?

- Bien sûr. On peut dresser tous les rapaces diurnes, mais, de nos jours, on ne dresse plus, pour la chasse, que le faucon pèlerin, l'autour des palombes et l'épervier. Cependant, dans les zoos spécialisés, on dresse tous les oiseaux de proie pour bien les montrer au public.

- Et il y en a où, de ces zoos spécialisés ?

- Le plus proche de nous est à Rocamadour. Voyez. Là. Il y en a un autre en Alsace. D'autres vont s'ouvrir...

- Pourquoi leur fait-on ça ?

- Pour plusieurs raisons. Ces oiseaux ont mauvaise réputation, et ils inquiètent les gens. Alors, on les leur montre pour qu'ils soient mieux connus et protégés. De plus, c'est aussi un moyen de repeupler la France en rapaces. On a récemment pu réintroduire des vautours dans les Cévennes.

- Mais, à quel âge commence-t-on à les dresser ?

- Les fauconniers capturent les oiseaux à tout âge, ou presque. Très jeunes, à l'époque ou apparaissent leurs premières plumes, on les appelle "niais". Un peu plus vieux, capables de se tenir seuls sur leurs perchoirs, on les appelle "branchiers". Capturés à l'âge adulte, on les nomme "hagards".

- Et comment s'y prend-on ?

- On commence par les installer sur des perches ou des blocs de bois. En effet, les rapaces ne supporteraient pas une volière et se blesseraient en se jetant contre le grillage.

- Et ils ne s'envolent pas ?

- Non, et pour plusieurs raisons. La première est qu'ils portent presque toujours leur chaperon. Cet ustensile les rend dociles et leur ôte toute envie de fuite. En outre, ils sont attachés à leurs perchoir. Ils portent à leurs deux jambes...

- M'sieur, vous vous êtes trompé.

- Trompé ? Comment ça ?

- Vous avez dit "jambes" au lieu de "pattes".

- Je ne me suis pas trompé. Pour les oiseaux de chasse, on dit "jambes", comme...

- Comme pour les chevaux !

- Exactement, Gabriel, tu connais bien les chevaux. Ce sont des animaux qui, au temps des seigneurs, étaient des animaux nobles. Ils avaient droit au même vocabulaire anatomique que les hommes. Mais revenons à notre propos. Donc ils portent aux jambes des "jets" de cuir, des liens de cuir si vous préférez, reliés à un anneau double, le "touret" auquel on fixe une corde, la "longe"

- On se sert aussi d'une longe pour débourrer les chevaux.

- Oui, Gabriel. Tu as raison.

- Le fauconnier attache la longe au perchoir ou à un épais gant de cuir qu'il porte, poing fermé.

- Un gant ? Pour quoi faire ?

- Sans lui, le fauconnier aurait vite les mains écorchées, blessées par les serres.

- Pouah ! C'est des brutes ces oiseaux-là.

- Mais non. Mais le gant est indispensable.

- Mais comment on fait pour les dresser ?

- On commence par leur apprendre à accepter la nourriture de la main de l'homme. On leur donne un petit morceau de viande, le "pât", que les oiseaux prennent facilement. Puis, peu à peu, on éloigne la nourriture, jusqu'à ce que l'oiseau soit obligé de voler. Puis, lorsque l'oiseau est habitué à revenir auprès de son maître, on l’entraîne à chasser.

- On lui donne un fusil ?

- Mais non, gros bêta. On l’entraîne avec un leurre.

- Un leurre ? C'est quoi ?

- Un faux gibier construit avec une armature d'acier ou de cuir sur laquelle on a fixé des plumes, des ailes ou une peau pour imiter le gibier sur lequel on veut créancer, spécialiser si vous préférez, le rapace. Puis on passe ensuite à l’entraînement sur un vif, c'est à dire un vrai lapin ou une vraie perdrix. On utilise d'abord des vifs très affaiblis puis de plus en plus proches de l'état de bonne santé. Lorsque le chasseur est tout à fait au point, le fauconnier le prend au poing et part en chasse...

- Il faut longtemps pour faire ce travail ?

- Pour affaiter un faucon, un bon fauconnier passe à peu près un mois. Car le faucon est un oiseau docile et de bon caractère. Pour les autours ou les éperviers, qui ont un caractère plus ombrageux, il faut un peu plus longtemps.

- Et pour les milans ?

- Je n'en sais rien. Mais je suppose qu'il faut à peu près le même temps.

- Et tout le monde peut le faire ?

- Non. Fauconnier est une véritable spécialité, qui s'apprend, comme tout métier. De plus, il est interdit de capturer des rapaces sauvages, tout comme il est interdit de les chasser."

Belle Pao baissa la tête. Elle le savait bien que c'était interdit. Elle avait téléphoné à la gendarmerie, le matin même, avant de partir pour l'école. Elle avait signalé l'attentat dont Bertrand avait été victime. Elle savait bien aussi qu'elle devrait conduire Bertrand au refuge. Qu'elle le ferait durant le week-end, demain ou après-demain. Elle avait prévenu sa mère de sa décision. Mais elle ne voulait pas y penser. Elle ne voulait pas qu'on le lui dise.

La sonnerie interrompit le cours de fauconnerie dispensé par Bertrand. Durant l'interclasse, alors qu'après avoir déjeuné, Belle Pao tenait compagnie à Bertrand dans la classe (Bertrand, l'autre, lui avait encore confié sa clé), les gendarmes arrivèrent à l'école. Ce fut leur tour d'attirer la curiosité des enfants. Ceux-ci escortèrent, en se tenant toutefois à une distance raisonnable, les hommes de l'ordre jusqu'au bureau de Benjamin Visible. Là, ils entendirent Belle Pao, prirent sa déposition. Ils annoncèrent au directeur que tous les chasseurs ayant participé à la battue du mercredi étaient convoqués, dès le samedi matin, dans la salle des fêtes. Là, ils seraient interrogés et le coupable devrait bien avouer, foi de gendarmes.

Pour Belle Pao, l'après-midi se traîna en longueur. Elle ne mit quelque ardeur à rien d'autre que la leçon de dessin. Il fallait faire le portrait de Bertrand (le milan). En relevant les travaux de ses élèves, Bertrand, l'instituteur, fut frappé par l’œuvre de Belle Pao. L'amour qu'elle portait à son protégé se lisait dans les traits qu'elle avait donnés à l'oiseau. Le regard farouche, sauvage du rapace débordait d'affection, de douceur et de tendresse. Un sourire pour le moins inattendu semblait fleurir sur son bec crochu.

A l'heure de la sortie, alors que tous ses camarades avaient déjà franchi la porte du "clapier" de Bertrand Versé, Belle Pao s'approcha.

"M'sieur, lundi, vous ne verrez pas Bertrand.

- S'il vient, je l'accueillerai avec plaisir.

- J'ai décidé de l'apporter au refuge. Là, il sera soigné comme il le doit, par des gens qui ne veulent pas lui faire perdre sa liberté. Moi, j'aurais voulu le domestiquer, et ce n'est pas bien."

Des larmes coulaient sur les joues de la fillette. Bertrand la serra contre lui.

"Tu es triste, tu souffres même, mais tu sais que tu as raison. Il faut parfois, pour leur bien, se séparer des êtres que l'on aime. Même si ça fait mal. Même si l'on aurait envie de les garder.

- Oui. Mais que c'est douloureux.

- Je sais, mais pense maintenant à la joie que tu auras, dans l'avenir en voyant le vol majestueux d'un milan au-dessus des collines. A cet instant, tu te diras : "Mon Bertrand est libre, il vole comme celui-là. Il est en bonne santé, vivant, heureux et libre grâce à moi !" Et toi aussi, tu rayonneras de bonheur.

Belle Pao ne répondit rien. Elle resta, encore un moment, serrée contre son instituteur, puis elle prit la poignée de son landau et courut vers sa mère qui l'attendait. Elle passa toute la soirée à bavarder avec Bertrand (le milan) pour lui dire combien elle l'aimait et téléphona pendant quelques minutes à Bertrand, son instituteur.

 

 

DEMASQUE

 

Le lendemain matin, à la première heure, une Renault blanche roulait vers le refuge départemental pour oiseaux sauvages. A son bord, la conductrice, Marjolaine Mie, derrière, Paola Mie et Bertrand son milan. Bertrand Versé, instituteur de son état, complétait cet équipage. Belle Pao, la veille, lui avait demandé d'être du voyage. N'ayant rien de particulier à faire, il avait volontiers accepté de sacrifier sa grasse matinée pour accompagner son homonyme.

Le silence régnait dans la voiture. Belle Pao avait la gorge serrée de chagrin, sa mère ne savait pas comment la consoler, Bertrand (le milan) n'avait pas l'usage de la parole, et Bertrand (l'instituteur) attendait le moment où l'on aurait besoin de lui.

C'est Belle Pao qui se chargea, seule, de remettre l'oiseau blessé au vétérinaire du refuge. Crispée, mais forte, elle retenait ses larmes. Elle lui expliqua, avec force détails, quels soins lui avaient déjà été donnés, insista pour recevoir régulièrement de ses nouvelles, et surtout pour être prévenue du lâcher de Bertrand. Elle accepta les félicitations et les remerciements de l'homme qui, dorénavant, prendrait en charge la santé de son milan. Le chaperon lui fut rendu, l'oiseau conduit vers une salle d'examen. Puis elle vint se rapprocher des adultes qui avaient assisté, à quelque distance, à la scène. Elle se réfugia dans les bras de sa mère. Alors seulement, elle laissa couler ses larmes. Elle chercha et prit la main de l'instituteur. Tous trois restèrent ainsi, immobiles, un très long moment. Puis Belle Pao s'écarta :

" En voiture. Nous devons rentrer à Lempdes à toute vitesse.

- A toute vitesse ? Mais pourquoi donc ?

- Pour voir démasquer le salaud...

- Paola. S'il te plaît...

- On n'est pas en classe, M’sieur. Pour savoir qui est le salaud qui a fait ça. Et lui faire... Je ne sais pas encore, mais je lui en ferai voir. De toutes les couleurs.

- La justice se chargera de lui.

- Oui, et puis la Société de Protection de Rapaces se porteront partie civile et se chargeront de faire un exemple.

- Allez ! Vite! Sinon on sera en retard.

- A vos ordres, jeune fille.

- Allons-y, ma petite Pao.

Et, sans trop dépasser les limitations de vitesse, Marjolaine Mie conduisit sa voiture jusqu'à Lempdes. Elle chercha une place pour stationner devant la salle des fêtes, sur la place qui était également place de l'école, place du marché, place de l'église et place de la mairie. Evidemment, elle n'en trouva pas et dut aller un peu plus loin.

C'est en courant que tous trois arrivèrent à la salle. Ils n'étaient pas en retard, mais presque tout le monde était installé. Une vingtaine de chasseurs avait été convoqués... Plus de cinquante personnes étaient là... Des curieux, certes, mais aussi des défenseurs de la nature. Le capitaine de gendarmerie, homme de haute taille, de forte corpulence, le visage rougeaud, prit la parole. Sa voix était rocailleuse. Il venait probablement du Sud-ouest.

"Qui a tiré sur un milan mercredi après-midi ?"

Il regarda, l'un après l'autre, tous les chasseurs. Aucun ne se dénonça. Il reprit la parole.

"Nous sommes réunis pour tenter de découvrir qui a tiré, mercredi après-midi, sur un oiseau de proie, un milan, appartenant à une espèce protégée. Pour ce faire, je recevrai l'aide de tous les chasseurs ayant participé à la battue aux nuisibles. Avec eux, je reconstituerai tous les événements, petits ou grands, de cet après-midi. Je déterminerai ce que chacun a fait à chaque instant. Cependant, avant de commencer, je pose à nouveau la question : Qui a tiré sur ce milan ? "

Le regard de Belle Pao s'était fixé depuis le début sur Benjamin Visible, le directeur de son école. Pour elle, il n'y avait aucun doute ! C’était lui le coupable ! Et si les gendarmes ne le démasquent pas, elle, Paola Mie, autrement nommée Belle Pao ou Pauline ou Paulette se chargerait de dénoncer cette brute.

Pendant que Belle Pao élucubrait ainsi, imaginait tout ce qu'elle lui ferait subir, l'enquête continuait, progressait même très sérieusement puisque le coupable venait d'avouer :

"Je ne sais pas ce qui m'a pris. Depuis un moment, je voyais ce milan tourner au-dessus de nous. Il ne se décidait pas à aller plus loin. Alors, au bout d'un moment, j'ai tiré".

Belle Pao, qui n'écoutait pas vraiment, fut étonnée, surprise par le dernier mot. Celui qui avait tiré n'était donc pas l'homme invisible! Elle en fut déçue. Elle s'était tellement imaginée que c'était cet homme qu'elle détestait. Bien au contraire, le coupable était le père de l'une de ses meilleures copines, un homme qu'elle aimait bien. Ses idées de vengeance s'évanouirent.

A quelques jours des vacances d'été, le téléphone sonna chez Marjolaine Mie. On lui annonçait le lâcher, le lendemain mercredi, de Bertrand le milan. Avec Belle Pao, elle se rendit au refuge pour assister à cet envol qui indiquait que l'oiseau était complètement guéri et apte à se nourrir seul.

Après quelques tours hésitants au-dessus du refuge, le rapace prit à tire d'ailes la direction du nord, la direction de Lempdes. La mère et la fille le suivirent des yeux, un long moment, puis après une poignée de main au directeur du refuge, prirent, à leur tour, la direction de Lempdes.

Le lendemain matin, à l'heure où allait retentir la sonnerie, les élèves et les maîtres de l’école virent un milan piquer sur eux, caresser du bout de l'aile les longs cheveux noirs de Belle Pao, le crâne quelque peu dégarni de Bertrand Versé, puis regagner les hauteurs. Tous ceux qui étaient dans la cour le saluèrent de la main. Tous, sauf un Benjamin Visible le directeur. Mais personne ne s'en aperçut.