TRIBUNAL

Décor :
un tribunal présidé par Dieu Le rôle de Dieu sera utilement tenu par une femme portant un déguisement masculin, longue barbe blanche …etc… (voir la sentence), un ange sera le greffier, l’archange Saint Michel étant le procureur. Satan, diable en chef, tiendra le rôle de l’avocat. Des hommes pourront éventuellement tenir des rôles féminins.

DIEU : En ce jour de grâce (date du jour), 5 milliardième anniversaire de la création du monde par mes soins, en ce quatre millionième anniversaire de la création de l’Homme, au nom de l’Universalité, nous sommes réunis dans ce tribunal, en audience publique, pour juger l’Homme, le mâle, que j’ai créé autrefois à mon image et qui, nous semble-t-il, a trahi notre confiance.

Accusé, veuillez vous présenter à la cour.

L’HOMME : Je suis l’Homme, Homo sapiens, de sexe masculin

DIEU : Rappelez à la cour et au public. Où êtes-vous né ? Quand ?

L’HOMME : Quelque part en Afrique, voici près de 4 millions d’années, enfin, il s’agissait alors de ma première version, l’australopithèque. Il y a eu de nombreuses autres versions par la suite. Je suis celle qui a survécu à la sélection naturelle.

LE PROCUREUR : Vous êtes accusé d’avoir, par malveillance, trahi la confiance placée en vous par votre créateur, abîmé le domaine qui vous a été confié, et diverses autres malversations que nous verrons en leur temps

L’HOMME : Mais je n’ai pas été seul,

SATAN : Non, mon client n’a pas été seul. Il est, depuis le début, accompagné par la Femme, et c’est elle la cause de tous ses maux...

L’HOMME : Oui, oui, c’est la Femme. C’est elle la cause de tout. Rien ne serait arrivé sans la femme.

LE PROCUREUR : L’espèce humaine que vous représentez aurait disparu très vite, non ? Vous dites que la femme est cause de tout, mais c’est là votre affirmation, cependant, le grand tribunal divin a décidé d’entendre diverses femmes…

SATAN : Dont vous verrez bien qu’elles sont les responsables de tout.

DIEU : C’est ce que nous verrons. En attendant, que le premier témoin entre

Eve entre en scène

DIEU : Vos nom prénom et qualité.

EVE : Eve, première femme, ancêtre de tous les hommes qui ont suivi.

L’HOMME : C’est elle, elle qui a commencé. Elle a fait croquer le fruit défendu à mon ancêtre Adam !

LE PROCUREUR : Eve, vous entendez ce dont l’Homme vous accuse. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

EVE : C’est Adam qui a raconté l’affaire du fruit défendu à ses successeurs. Et il l’a complètement et volontairement modifiée, faussée pour se donner le beau rôle auprès des générations qui l’ont suivi. Dans son histoire, il a même mis en cause celui qui est son avocat aujourd’hui. Vous parlez d’un culot ! Et Satan qui accepte quand même de le défendre !

SATAN : Oui, peut-être, mais je n’ai pas eu le choix, j’ai été commis d’office !

DIEU : Poursuivez mon enfant, et racontez-nous votre version.

EVE : Voilà, Dieu, enfin vous, avait un beau, un magnifique jardin, que nous étions chargés d’entretenir, mais où nous étions autorisés à nous promener, à batifoler, à profiter de nous et de la vie. Nous habitions un petit pavillon près de l’entrée. Dieu, lui, vivait dans le château.

L’HOMME : Oui, c’est exact.

LE PROCUREUR : N’interrompez pas le témoin s’il vous plaît !

DIEU : Continuez mon enfant

EVE : Dans ce joli parc arboré (de nos jours, la propriété vaudrait une fortune), il y avait un arbre que Dieu, enfin vous, que Dieu voulait améliorer. Dans cet arbre expérimental, il y avait un fruit unique, une pomme d’une race inconnue, dont Dieu nous avait promis qu’elle serait meilleure que la golden et toutes les autres. Il attendait qu’elle soit bien mûre pour nous la faire goûter.

L’HOMME : Et tu n’as pas eu la patience d’attendre ! Tu t’es montrée impatiente et envieuse comme toutes les femmes ! Et tu l’as volée ! Et tu l’as mangée ! Tu m’as contraint à y goûter moi aussi

DIEU : N’interrompez pas le témoin !

L’HOMME : excusez-moi notre père qui êtes aux cieux d’habitude..

DIEU : Eve, reprenez le cours de votre récit.

EVE : Nous n’avions pas le droit de cueillir le fruit de cet arbre car il était très fragile. Or, une nuit, pendant que Dieu dormait, Adam et Satan ont pris une échelle, et ont volé la pomme. Ils se la sont partagée et ont posé le trognon et la peau à côté de mon lit. Je n’ai même pas pu y goûter, et au matin, lorsque Dieu s ‘est réveillé, Adam m’a accusé auprès du proprio, de Dieu, de vous enfin, d’avoir volé le fruit et tout ce qu’il a dit tout à l’heure. Je me suis défendue comme j’ai pu parce que je voulais garder mon beau logement, et continuer à profiter du jardin, mais j’ai dû accompagner Adam lorsqu’il a été viré de la propriété et qu’il s’est retrouvé au chômedu. Une femme seule ne pouvait pas entretenir une telle propriété. Ce sont des anges qui nous ont remplacés. Mais le plus grave, ce n’est pas ses bêtises d’alors, c’est que, depuis ce temps, il s’emploie à me faire porter le chapeau. A moi et à son complice de l’époque qui est son avocat aujourd’hui. A faire porter le chapeau à toutes les femmes mes descendantes. Son mensonge est écrit noir sur blanc dans toutes les bibles ! Et les gens y croient dur comme fer, autant que si c’était parole d’évangile !

LE PROCUREUR : Vous constatez, seigneur, la duplicité de l’accusé !

SATAN : Ce n’était que faute vénielle.

 

DIEU : Je m’en souviens fort bien. Je n’ai pas cru un instant à la fable qu’Adam avait inventée. Il avait oublié que je suis Dieu et que, lorsqu’on exerce cette profession, on sait tout, on voit tout. Même la nuit dans un verger. Adam et toi, Satan, tous les deux, vous m’avez cassé mon arbre et je n’ai jamais pu, malgré tous mes efforts, reproduire cette pomme depuis ce temps-là.

L’HOMME : Mais…

LE PROCUREUR : On n’interrompt pas le Président du tribunal.

L’HOMME : Je voulais dire… Je vous ai inventé de belles et bonnes pommes depuis. La Canada d’Auvergne, la Comte, la Golden, l’Armoise et bien d’autres. J’ai été un bon jardinier

LE PROCUREUR : Tes pommes sont à cent lieues de valoir la pomme de l’Eden !

SATAN : Rendez au moins justice…

LE PROCUREUR : Nous sommes là pour cela

DIEU : Eve, vous pouvez dorénavant vous retirer. Merci de nous avoir rappelé cette bien triste histoire. Qu’entre maintenant Ayla !

Mademoiselle, vos nom et qualité.

AYLA : Ayla, du clan de l’ours des cavernes. Ma vie a été racontée par Jean (DJINN) Auer, dans sa belle saga.

DIEU : Ne faites pas de publicité pour cette dame, même si son roman est très beau. Dites-nous plutôt ce que vous avez à dire.

AYLA : Je suis née d’un couple d’homo sapiens, mais j’ai été élevée par un groupe d’hommes de Néanderthal, qui n’ont rien à voir, ou presque, avec cet homo sapiens que vous avez conservé.

DIEU : C’est vrai que je n’ai peut-être pas fait le bon choix…

AYLA : Je ne vais pas vous parler du comportement des hommes avec les femmes, mon amie Catherine vous en parlera tout aussi bien que moi et Néanderthal ne valait sur ce point pas mieux que son collègue Cromagnon. Je veux vous parler d’autre chose. Votre Homo sapiens a nié et abîmé tout le beau pays dans lequel nous vivions. Ce n’était plus votre jardin d’Eden, mais c’était bien joli tout de même. Malgré la punition infligée à Adam et Eve, nous avions été logés dans un joli parc naturel. Bien plus vaste et varié que le parc des volcans d’Auvergne ou le parc du Livradois-Forez. Avec ma famille adoptive de Néanderthal, nous vivions en harmonie avec la nature. Nous ne la détruisions pas, nous y avions notre place, comme vous nous l’aviez fixée au début de la création. L’homo sapiens, dès son apparition, a voulu modifier la nature, la modeler, la mettre à son service, et regardez le résultat d’aujourd’hui. Des centaines, des milliers plutôt d’espèces animales disparues, de plantes qui n’existent plus ! Des rivières polluées, des plages qui sentent le pétrole. Des vaches qui deviennent folles, du maïs insecticide, du tournesol qui fait perdre le nord aux abeilles… Et j’en passe. Est-ce cela que vous vouliez lorsque vous avez laissé homo sapiens prendre la place des autres hommes ? Je n’ai rien à ajouter.

DIEU : Merci Ayla. Il est vrai que le monde d’aujourd’hui ne ressemble plus beaucoup à celui que j’ai créé. Mais, toi, Homme, qu’as-tu à dire à ce sujet ?

HOMME : Il est vrai que j’ai transformé le monde, mais j’ai fait des quantités de belles choses, des ponts magnifiques, des temples, des églises et des cathédrales en votre honneur, des immeubles pour nous loger…

PROCUREUR : Pas terribles tes immeubles. Ils ressemblent plus à des cageots qu’à des maisons d’habitation !

HOMME : N’oubliez pas que j’ai bâti le Mont Saint Michel en votre honneur, Monsieur le Procureur, et aussi bien d’autres belles choses : le Futuroscope, Vulcania, des centrales pour produire de l’énergie…

DIEU : Il suffit, tu vas, si je te laisse continuer avec tes histoires de centrales et autres constructions dangereuses, te condamner tout seul, et il faut bien que ce tribunal ait une utilité.

Qu’entre maintenant Catherine Cromagnon !

Madame, vos nom, prénom, âge et qualité.

CROMAGNON : Catherine Cromagnon, née en Périgord…

L’HOMME : Au pays du foie gras !

SATAN : Après la pomme, le foie gras ! Ce menu est sans queue ni tête

DIEU : toi Satan, tu as peut-être tête et queue, mais en ce moment, ta tête et ta queue ne te servent qu’à débiter des âneries ! Lorsque je t’ai créé, je n’avais pas prévu de fabriquer un nouvel âne. Continuez Catherine.

CROMAGNON : Voilà, mon mari, Bruno Cromagnon, était une brute, comme tous les hommes.

DIEU : Racontez-nous cela, mon enfant.

SATAN : Je proteste. Le Président du tribunal se montre paternel avec le témoin ! C’est du favoritisme !

DIEU : Tais-toi bougre d’âne ou je te renvoie à tes grillades infernales. N’oublie pas que j’ai créé le Monde, toi compris. Poursuivez Catherine.

CROMAGNON : Oui, je le répète, Bruno était brutal. Jamais il ne m’a offert le moindre bouquet de fleurs, bien au contraire, quand nous partions en voyage, quand nous revenions, pour résumer, chaque fopis que nous nous déplacions, il avait la manie de me tirer par les cheveux de la main gauche, sa main droite portant sa massue.

L’HOMME : C’était pour éviter qu’elle ne soit infidèle. Au moins, ainsi tenue, une femme ne se jette pas à la tête du premier bellâtre qu’elle rencontre…

DIEU : La fidélité doit être librement consentie…

L’HOMME : Mais mon ancêtre l’avait achetée cher : un cuissot et deux défenses de mammouth !

DIEU : Croyez-vous que les femmes soient des marchandises ? Mais ceci nous le verrons avec d’autres témoins. Catherine, exprimez-vous sans crainte. Votre Bruno est embroché sur une des rôtissoires de Satan et ne peut rien vous faire. Vous disiez que votre époux vous maltraitait…

CROMAGNON : Oui, des coups de poing en plein visage ! Et il n’existait même pas alors de lunettes de soleil pour dissimuler mes coquards ! Et puis, comme s’il en pleuvait, des coups de massue sur la tête, à tout moment, à toute occasion. Tenez Regardez. Là… et là…Touchez ma bosse Monseigneur !

On pourra faire, dans la réplique, une allusion à (imitation ?) Jean Marais (Le bossu)

C’est comme pour la décoration de la maison. Pas moyen de lui faire peindre des jolis motifs, des fleurettes ou des petits cœurs par exemple. Voyez notre maison de Lascaux. C’était une belle etgrande grotte qu’un rien aurait pu rendre aussi coquette qu’une maison Phénix. Il ne peignait que de monstrueuses vaches, des aurochs. Vous parlez d’un papier peint ! Quand je vois le catalogue des décorateurs du 21ème siècle ! Il est autrement gai et fleuri. Et pourtant, notre maison aurait pu être gaie et accueillante. J’avais honte de mon intérieur quand nous recevions des voisins pour l’apéro ou pour partager quelque chevreuil. Il est vrai que ce n’était pas mieux chez eux. Mais ce n’est pas tout..

DIEU : Et quoi encore ?

CROMAGNON : Vous voyez que je suis plutôt mince et jolie…

PROCUREUR : Effectivement…

CROMAGNON : Figurez-vous que ce monstre s’amusait à sculpter des statuettes difformes et disait qu’elles me ressemblaient ! Et il avait le culot d’appeler ces horreurs des Vénus !

SATAN : Il était peut-être seulement maladroit !

CROMAGNON : Détrompez-vous, Bruno était très habile de ses mains. Il fabriquait un propulseur, taillait un silex avec adresse et rapidité. C’était pure méchanceté de sa part. De plus, quand j’avais la migraine, et ce n’est pas étonnant avec tous les coups de massue que je recevais sur la tête, avec mes cheveux tirés à chaque déplacement, il m’assommait une fois de plus et allait violer quelque jeune fille dans la grotte voisine pour satisfaire ses désirs. Ah ! Je suis très heureuse que mes descendantes soient mieux traitées aujourd’hui !

LE PROCUREUR : Ne vous faites pas d’illusions, l’homme ne les tire peut-être plus par les cheveux, mais il les maltraite tout de même

CROMAGNON : Elles ont bien de la chance tout de même qu’il ne les tire plus par les cheveux…Ca fait horriblement mal. Plus encore que les coups de poing un de massue. J’ai fini ? Parce qu’il faut que j’aille chez le coiffeur. Mes cheveux ont tellement souffert ! Rendez-vous compte. Ils n’ont, depuis tout ce temps, toujours pas retrouvé leur souplesse et leur beauté originelles.

DIEU : Allez-y. Nous écouterons maintenant Cléo l’Egyptienne.

Mademoiselle, vos nom, prénom et qualité.

CLEO : Cléo, Egyptienne : fille, sœur et épouse du pharaon Ramsès 14, sœur et épouse de Ramsès 15. Je les nommais R14 et R15.

SATAN : Eh ! Vous ne vous trompez pas dans votre état civil ? Fille, sœur de votre mari ? Et puis quoi encore ?

DIEU : Elle dit vrai, dans la famille royale d’Egypte, tous les mariages étaient consanguins. Racontez votre histoire.

CLEO : Comme vous le savez, j’étais la dernière fille du pharaon. Je suis née de son mariage avec ma sœur aînée, née elle-même d’un mariage familial. J’ai dû épouser ce monstre de R14 quelques mois seulement avant sa mort. Et bien figurez-vous que pendant tout le temps, heureusement qu’il a peu duré, il m’a obligée, tous les jours, à appliquer un produit lustrant sur les dalles de marbre de sa pyramide. Et comme si ça ne suffisait pas, il m’a fallu ensuite supporter ce petit merdeux de R15. Sa lubie à lui, c’était de me faire chercher parmi les roseaux des bords du Nil pour que je trouve un berceau contenant un bébé. Comme du temps de son aïeule qui avait recueilli Moïse ! Un vrai fou ! Et moi qui rêvais d’un destin ordinaire. Un petit mari aimant et tendre, une cabane au bord de l’eau.

SATAN : Ah ! Ces femmes ! Aucun sens de la réalité. Elles sont menées par leur sentimentalité et leur romantisme.

DIEU : Taisez-vous ! Cléo, à vous !

CLEO : Et, lors des cérémonies officielles, comme les cérémonies de l’an 2000 avant votre fils, ou bien lors de la coupe du monde de felouques, il m’obligeait à rester des heures et des heures au soleil, et il tape dur en Egypte, avec une couronne de fer qui me brûlait jusqu’à l’os. Regardez, j’en ai encore les marques.

SATAN : Mais lui aussi restait au soleil !

CLEO : Mais il avait une protection, lui ! Entre sa couronne et sa tête, il plaçait un torchon, tenez, un peu le même que celui d’Arafat, mais avec de plus jolies couleurs. Ca faisait isolant. Et, de plus ça épongeait la sueur. Et ses esclaves qui l’éventaient et envoyaient toutes ses mauvaises odeurs sur moi. Vous savez, R15 n’avait pas la qualité de ses ancêtres R4 ou R8. Mais l’histoire se répète. Même en automobile, les R14 et les R15 ont été moins réussies que les R4, les R5 et les R8.

SATAN : Mais vous aviez des compensations. Vos eunuques, par exemple. Ils vous aimaient bien ?

CLEO : Vous parlez d’une compensation ! Des eunuques ! Des gens qui savent tout sur l’amour, qui ont tout vu, mais auxquels il manque la clé qui ouvre la porte des… cœurs !

LE PROCUREUR : Voyez, Seigneur Dieu, même au temps des pyramides, les femmes étaient maltraitées par les hommes. Et cela a perduré. A Rome par exemple, comme nous le montrera le témoin suivant.

DIEU : Merci Cléo. Que l’on fasse entrer Flavia !

Vos nom, prénom, et qualités

FLAVIA : Flavia, Romaine, ex-Vestale,

DIEU : Qu’avez-vous à nous dire ?

FLAVIA : Dès mon enfance, mon père m’a vendu aux prêtres de Vesta. J’étais encore toute petite et fière de porter la jolie toge. Mais, très vite, je me suis rendu compte que la vie ne serait pas gaie. Le service du feu est très prenant et nous étions toutes enfermées et surveillées.

SATAN : C’est bien normal, non ? Des enfants ! Il faut les surveiller !

FLAVIA : Oui, mais plus nous grandissions, plus c’était pire. Un jour, j’avais quinze ans, j’ai rencontré un beau garçon en allant apporter la flamme au temple. Il m’a parlé. Conformément à la règle, je ne lui ai pas répondu, mais il m’avait émue.

HOMME : J’ai toujours eu du succès auprès des femmes.

SATAN : Elles n’ont pas le choix, idiot. Il n’y a que l’homme à faire partie de la même espèce qu’elles

DIEU : Cessez de vous chamailler. Continuez Flavia.

FLAVIA : Et, à chacune de mes sorties, je pouvais le voir qui m’attendait. Nous nous sommes parlé. Et les prêtres du temple nous ont vus. J’ai été fouettée, battue, enfermée au cachot. Les prêtres ont essayé de me forcer à devenir leur maîtresse, comme beaucoup de mes camarades, bien qu’ils fussent les gardiens de notre virginité, mais je suis parvenue à éviter leur…vous m’avez comprise. Puis quelques temps après j’ai pu à nouveau reprendre mon service et sortir. Alors, j’ai décidé de m’enfuir avec mon amoureux. Nous avons été rattrapés, et alors, j’ai été sacrifiée, égorgée sur l’autel de la déesse, non sans avoir été violée par les prêtres. Ce traitement n’est jamais arrivé à celles de mes camarades qui avaient accepté les hommages, et pas seulement les hommages, des prêtres.

PROCUREUR : Et votre amoureux ?

FLAVIA : Mon amoureux ? il s’en est tiré avec quelques mots d’excuse et quelques sesterces.

DIEU : Votre histoire est bien triste

FLAVIA : Et, ce qui est plus grave, il est devenu prêtre de Vesta à son tour. Il avait compris, à l’occasion de cette affaire, tous les avantages que l’on peut tirer de cette position. Les jeunes vestales qui lui furent confiées durent faire à contrecœur ce que j’étais prête à faire d’enthousiasme.

DIEU : Bien laissez-nous maintenant.

Que l’on fasse entrer Yazee !

Vos nom, prénom et qualités.

YAZEE : Yazee, fille préférée d’Attila. Général en chef de la neuvième horde de l’armée d’Attila. Attila qui aurait été votre fléau, si l’on en croit ces menteurs d’historiens.

DIEU : Menteurs, les historiens ? Et comment cela ? Eclairez le tribunal.

YAZEE : L’Histoire, depuis toujours a été racontée surtout par des hommes. Et toujours ils ont voulu se donner le beau rôle. Bien sûr, de temps en temps, ils ont laissé une petite place aux femmes, mais bien petite. Ainsi, à mon époque.

DIEU : racontez-nous tout, car, si je me souviens bien de mon livre de Cours Elémentaire, à votre époque, on a mis en vedette une certaine Geneviève.

YAZEE : Oui, et c’est bien là qu’est l’injustice, là qu’est le mensonge des historiens. Mon père, Attila commandait une armée qui était divisée en plusieurs hordes. Chacune d’elle était dirigée par l’un des enfants, indifféremment fille ou garçon d’Attila. Je dirigeais moi-même une horde, la neuvième comme je vous l’ai dit, et je puis vous affirmer sans crainte d’être démentie, que c’était l’une des plus ordonnées et efficaces de l’armée des Huns

SATAN : Des uns ? Et des autres aussi ?

DIEU : Pauvre Satan, tes jeux de mots sont éculés et n’ont fait rire personne. Ni le Tribunal, ni toutes celles et tous ceux qui assistent à ce procès. Reprenez, mademoiselle.

YAZEE : Or, c’est moi qui, lors d’une réunion d’état major, ai décidé la troupe à éviter Lutèce, ce petit bourg sans grand intérêt, pour aller le plus rapidement possible attaquer Orléans. Et, c’est un copain de Geneviève, qui était amoureux d’elle et voulait la séduire qui a raconté partout que cette dinde avait fait reculer nos troupes. Alors qu’elle n’avait fait que conseiller aux lutéciens de ne pas quitter la ville en raison de notre présence dans la région. Je n’ai qu’une satisfaction : c’est que le menteur qui a faussé notre histoire n’a pas pu séduire la Geneviève. Elle est entrée dans un couvent et ne s’est donnée à aucun homme. Pour une fois que l’Homme est puni !

DIEU : Merci, Yazee. Le tribunal divin va maintenant donner la parole à Dame Bathilde, qui vivait en France en l’an mil.

Vos nom et qualité

BATHILDE : Je m’appelle Bathilde et fus autrefois médecin.

DIEU : Médecin ? Au Moyen-Age ?

BATHILDE : Oui, seigneur Dieu, médecin, une femme médecin. Car les hommes qui ont écrit l’histoire en ont, là aussi, menti. Tout comme ils ont ignoré le rôle de mon amie Yazee, ils ont ignoré, ou plutôt fait semblant d’ignorer, la place des femmes dans la société du Moyen-Age.

DIEU : Expliquez-vous.

BATHILDE : En ces temps-là, la femme n’était pas loin d’être l’égale de l’homme. Elle avait le droit de posséder des biens qui lui étaient propres, possédait le droit d’entreprendre, de diriger une entreprise. Moi-même étais un médecin réputé et ai même soigné, un jour, Gerbert d’Aurillac, qui fut votre représentant, votre pape sous le nom de Sylvestre II. Cela ne choquait personne alors. Et je n’étais pas la seule femme, loin s’en faut, à avoir fait des études.

DIEU : Mais que s’est-il passé ?

BATHILDE : A partir de 1 400, en prétextant que la vie à Rome et en Grèce, ces pays où les femmes étaient enfermées dans leur gynécée, était plus belle, les hommes ont repris le pouvoir. C’était ce que ils ont appelé la Renaissance. Et ils ont raconté pis que prendre de la belle époque que j’ai vécue. Ils nous ont fait passer, au risque de ternir même les hommes de mon temps, pour des ignorants superstitieux. Ils ont laissé croire que nous vivions dans des taudis, alors que, chaque jour, la jonchée d’herbe qui parfumait ma maison était changée, alors que, à cette époque, nous allions régulièrement aux bains, aux étuves comme on disait alors.

SATAN : des lieux de débauche, pas d’hygiène !

BATHILDE : Vous mentez ! Ces hommes qui ne se lavaient pas nous reprochaient d’être peu civilisés ! Et quant à nous, femmes, c’est bien simple, nous sommes inexistantes dans leur façon de raconter. Il a fallu attendre des siècles, attendre la fin du vingtième siècle, pour qu’une femme mette enfin notre rôle en valeur. Une femme. Pas un mâle. Pour les mecs, les femmes ne sont bonnes à rien. Alors, vous pensez, les femmes de l’an mil !

PROCUREUR : C’est bien beau tout cela, mais l’homme a menti pour tout ce qui concerne tout le Moyen-Age ! Et pas seulement sur le rôle de la femme !

BATHILDE : Certes, mais n’a-t-il pas montré la femme comme seulement capable de filer sa quenouille…

SATAN : Vous oubliez Jeanne d’Arc ! C’était une femme et les historiens en ont bien parlé ! a son sujet, je n’ai qu’un regret, ce sont les Anglais et pas moi qui l’ont fait rôtir !

BATHILDE : Jeanne ? Mais ils n’en ont parlé que parce qu’elle a vécu comme un homme, et surtout en mettant en exergue sa virginité !

SATAN : Mais c’est beau, la virginité ! C’est tellement rare ! Surtout… depuis… depuis toujours.

BATHILDE : Ce n’est pas un état que l’on doive conserver absolument. On a le droit de la perdre sans être pour autant sans valeur.

HOMME : Evidemment. Ma mère…

BATHILDE : Nous y voilà. L’homme ne nous voit qu’en mère. Lui a le droit de vivre comme il l’entend, mais nous, les femmes, n’avons pas le choix. Ou nous perdons notre virginité pour devenir mères, ou, si nous l’offrons pour notre plaisir, nous devenons des putains.

DIEU : Il est vrai que l’Homme a sacralisé la virginité et condamné toutes celles qui voulaient vivre à leur guise. Laissez-nous maintenant Bathilde, nous allons écouter une jeune femme qui a vécu quelques siècles après vous.

Vos nom et qualité.

ANNE : Anne de France, fille aînée de Louis XI, épouse de Pierre de Beaujeu, régente du royaume durant l’enfance de mon frère Charles VIII.

DIEU : De quoi vous plaignez-vous, princesse ?

ANNE : Du silence qu’ont entretenu les historiens sur mon action politique.

DIEU : Expliquez-vous.

ANNE : A la mort de notre père, mon frère Charles était trop jeune pour régner. Je suis parvenue, non sans mal car j’étais une femme à obtenir la régence. Et j’ai fait un excellent travail. Celui-ci est totalement passé sous silence par ces menteurs d’historiens. Ils reconnaissent le rôle que j’ai joué seulement entre eux et n’en font pas profiter le grand public. Il est vrai que l’image de l’homme en prendrait un sacré coup si l’on faisait la vérité sur le rôle effectif des femmes à travers l’histoire.

DIEU : Bien. Vous confirmez tout ce que nous savons déjà sur le mâle qui raconte l’histoire. Nous allons changer de sujet avec une autre femme du passé.

ANNE : Mais j’ai autre chose à dire…

HOMME : Quelque mensonge encore. La femme est si menteuse…

SATAN : C’est bien connu.

DIEU : Taisez-vous et laissez-la parler. Jusqu’à présent, vous n’avez pas trouvé beaucoup d’arguments pour vous défendre. Allez-y Anne, le Tribunal divin vous écoute.

ANNE : Depuis des siècles, l’Homme nous écarte du pouvoir. Ainsi, moi. Chacun, même les historiens pourtant peu suspects de complaisance à l’égard des femmes, reconnaît que j’ai mieux gouverné le royaume de France que mon frère Charles. Or, selon la loi écrite par les mâles, j’ai été écartée du pouvoir. Une femme ne pouvait pas, ont-ils décidé, hériter du trône. Au vingtième siècle encore, rares sont les femmes qui sont autorisées à diriger un pays. Ou celles qui sont choisies pour le faire le sont essentiellement parce qu’elles s’efforcent de ressembler aux mâles pour pouvoir accéder au pouvoir. Prenez Edith Cresson qui s’est sentie obligée de jurer comme un charretier, regardez Michèle Alliot-Marie qui affirme qu’elle a autant de couilles, et peut-être plus, qu’un mec…

SATAN : C’est bien reconnaître la supériorité et la qualité des hommes que de vouloir lui ressembler.

ANNE : Non, certainement pas. C’est le seul moyen pour obtenir une parcelle de ce pouvoir que les hommes refusent de partager.

DIEU : Merci. Nous allons maintenant entendre la Mère.

Vos nom et qualité.

MERE : Je suis la Mère. Celle qui, depuis le début de l’Humanité vit en chaque femme qui met au monde un ou des enfants. Je suis de tous les temps, de tous les pays. Je suis universelle.

DIEU : Et qu’avez-vous à dire devant ce tribunal devant lequel comparaît l’Homme qui est aussi votre fils ?

MERE : Ce que j’ai à dire ? C’est que l’Homme, si je l’ai mis au monde, a aussi tout fait pour me faire souffrir. Je ne parle pas là des souffrances de l’enfantement, mais de son goût pour la gloire militaire. Les hommes ont passé des siècles à se faire la guerre, à se combattre, sans le moindre égard pour celles qui les ont mis au monde. Pensez aux souffrances de toutes ces femmes dont l’enfant ou les enfants plutôt, sont morts au combat. Parfois dans des pays lointains. Imaginez l’inquiétude de celles qui ont attendu, longtemps parfois, des nouvelles de leur petit. Les souffrances à nous infligées sont horribles. Et cela dure depuis que l’Homme a voulu montrer à son voisin qu’il est plus fort que lui, depuis que des irresponsables envoient des enfants au combat, depuis que l’Homme a voulu prendre ce qui ne lui appartenait pas. Aussi, si je dois donner mon avis, je demande au divin Tribunal de condamner sévèrement l’Homme…. Mais je souhaite, je désire, j’implore qu’il acquitte mon fils. J’ai suffisamment souffert.

PROCUREUR : Je crois que maintenant l’affaire est claire et que l’Homme peut être lourdement condamné. N’oubliez pas qu’il a même fait souffrir la Mère.

DIEU : Pas encore. Il nous faut avoir une information aussi complète que possible. Nous sommes ici pour juger équitablement et devons entendre les témoins jusqu’au bout.

Qu’entre maintenant le petit chaperon rouge.

HOMME : Qu’avons-nous à faire de cette petite ?

SATAN ; Oui, que vient-elle faire ici ? Ce n’est pas le loup qui comparaît aujourd’hui.

DIEU : Silence. Elle a été citée comme témoin et nous l’écouterons. Mademoiselle, présentez-vous à la cour.

CHAPERON : Je suis une petite fille pauvre que l’on a surnommée le Petit Chaperon Rouge.

DIEU : Nous écoutons votre histoire.

CHAPERON : Elle est quelque peu différente de ce qu’a raconté Charles Perrault. Il n’a pas osé écrire la vérité, tant elle est sordide, aussi, il l’a quelque peu modifiée afin que ses contemporains puissent en tirer profit. Lui ne détestait pas les jeunes filles et a tenté, à sa manière, de les protéger. Au risque de me faire passer pour une écervelée… Mais je sais que vous n’avez pas de temps à perdre, aussi vais-je vous conter ce qui m’est arrivé. Un jour donc, ma grand-mère, qui habitait une maison isolée à quelque distance de notre village, est tombée malade, et je suis allée lui apporter une galette et un petit pot de beurre. En chemin, j’ai rencontré un homme qui m’a demandé où j’allais. Il m’a proposé de m’emmener sur son cheval. J’ai refusé car je sais, je savais bien quels dangers menacent depuis toujours les auto-stoppeuses. Il ne m’a rien fait d’abord car nous étions tout près du village. Mais il est parti au galop jusqu’à la maison de ma mère-grand. Là, il a caché son cheval, est entré dans la maison en faisant croire à la bonne vieille qu’il lui apportait des victuailles de la part de mes parents. Alors, il l’a bâillonnée et ficelée et m’a attendue. A mon arrivée, une heure plus tard, il m’a sauté dessus et violée. A plusieurs reprises. Puis, craignant que je ne le dénonce si un jour je le croisais à nouveau, il m’a assassinée, puis en a fait autant à ma pauvre mère-grand. Je n’avais que quinze ans. Combien de filles, combien de femmes ont été violées par ce monstre d’Homme. Combien ont été assassinées ?

PROCUREUR : Alors, Homme, qu’as-tu à dire à cela ? Encore un de tes défauts dévoilé ! Le viol est un crime des plus graves. Et tu en es coutumier.

DIEU : Pas de sermon, Saint Michel. Nous ne devons pas juger selon nos sentiments, ou nos émotions mais selon la justice. La Justice doit être sans passion. Merci petit chaperon rouge. Ecoutons maintenant Justine.

Mademoiselle, vos nom et qualité.

JUSTINE : Je m’appelle Justine de Sade.

DIEU : Racontez votre vie au tribunal.

JUSTINE : J’étais dans un couvent, dont, pour une faute vénielle, j’ai été renvoyée. J’ai été d’abord accusée faussement de vol, et jetée en prison. Je suis parvenue à m’évader, et, lors d’un voyage, j’ai sauvé la vie d’un homme qui avait été attaqué et grièvement blessé par une bande de voleurs. Pour me récompenser peut-être, celui-ci m’a violée et volée. J’ai dû subir, tout au long de ma vie, bien d’autres viols et violences. Ceux d’un aristocrate, ceux d’une bande de moines débauchés, des clients de l’auberge où j’avais enfin trouvé du travail et bien d’autres encore. Ma sœur, elle, pour survivre, a dû tout au long de sa vie donner de bon cœur ce que l’on m’a pris de force. Toutes deux, comme des milliers d’autres, avons été victimes de la bestialité des hommes. Pour l’Homme, la femme ne compte guère plus qu’un animal ou un objet. Elle est sa propriété et il en dispose à sa guise.

HOMME : N’exagérez pas tout de même. Les hommes ne sont pas tous ainsi.

JUSTINE : Pas tous ? C’est à voir. Tous ceux que j’ai, pour mon malheur, rencontrés étaient pareils. Il ne s’en est pas trouvé un pour racheter les autres.

DIEU : C’est à voir en effet et nous allons maintenant recevoir Olympe de Gouges.

SATAN : Vous invitez même une poissarde, une putain ? Ce tribunal fait décidément n’importe quoi.

DIEU : Nous invitons toutes celles dont le témoignage peut éclairer notre justice et n’avons aucun besoin pour cela de tes conseils, Satan.

Vos nom et qualité, mademoiselle.

OLYMPE : Gouze Olympe, dite Olympe de Gouges, femme de lettres et révolutionnaire. Auteur, entre autres de la Déclaration des Droits de la Femme.

PROCUREUR : Les Droits de la Femme ? Pourquoi ? Expliquez-vous. En quoi consistait cette déclaration ? .

OLYMPE : Dans les premiers temps de la Révolution Française, les hommes et les femmes ont combattu, ensemble, pour établir la démocratie. Nous avons même été très utiles, indispensables même, à ces messieurs lorsque, nous, les femmes, sommes allées, sous la conduite de mon amie Théroigne de Méricourt, chercher à Versailles le roi et sa famille. Vous savez bien, le boulanger, la boulangère et le petit mitron. Et en bien d’autres occasions encore. Et ne voilà-t-il pas que, alors que nous semblions en marche vers l’égalité des sexes, que Robespierre et ses acolytes ont voulu nous replonger dans notre esclavage. Les femmes n’étaient plus bonnes qu’à écouter les sentences du Comité de Salut Public en tricotant.

SATAN : Et oui, les tricoteuses qui ne savaient que crier " A mort ! "

OLYMPE : Non, ce n’est pas vrai. Ce sont les hommes qui nous ont cantonnées dans ce rôle. Et nous avons tenté, de toutes nos forces, de participer réellement à la vie publique. J’ai rédigé une déclaration dans laquelle, nous, les femmes, affirmions nos droits. J’ai en outre écrit à plusieurs reprises à Robespierre pour lui demander de nous rendre notre place. Puisque nous étions les égales des hommes pour nous faire couper le cou, pourquoi ne l’étions-nous pas pour décider de la vie publique ? La seule réponse qu’il nous a apportée a été de me faire guillotiner, et mes amies avec moi. Les hommes veulent garder le pouvoir, tout le pouvoir, et ne le partager avec personne, et surtout pas avec nous, leurs compagnes.

SATAN : Mais cela change. L’égalité des sexes est en marche. Des femmes gouvernent, un peu partout dans le monde.

OLYMPE : Elles disposent seulement de strapontins au gouvernement. Elles sont plus des alibis, des faire-valoir qu’autre chose. Ce sont toujours les mecs qui prennent les décisions importantes. Ils n’utilisent les femmes que pour se mettre eux-mêmes en valeur. Comme au temps de Robespierre ! Rien n’a changé… ou si peu… Les rares femmes qui ont un véritable pouvoir ne l’ont obtenu qu’en se masculinisant… en esprit, sinon physiquement.

PROCUREUR : Pour ce qui concerne le comportement de l’homme avec la femme, nous sommes déjà bien éclairés. Cependant, nous allons continuer à faire venir des témoins, d’une époque plus récente, afin de voir si, effectivement, le comportement de l’Homme a changé, comme vient de le dire l’avocat de la défense. Entrons dans le siècle qui vient de s’achever.

DIEU : Que vienne à la barre Amélie Hélie

Vos nom prénom et qualité

AMELIE : Amélie Hélie, plus connue sous le nom de " Casque d’or "

DIEU : Le Tribunal vous écoute.

HOMME et SATAN : Mais c’est une traînée, une gourgandine, qui a poussé deux braves garçons à s’entre-tuer !

DIEU : silence ! Laissez parler le témoin.

AMELIE : Je suis née pauvre, dans un quartier populaire de Paris. N’ayant pas eu la possibilité de faire des études, ne possédant aucun talent, n’ayant appris aucun métier, j’ai dû utiliser pour survivre les seules richesses dont je disposais : mon corps et ma beauté. Dès mon adolescence, j’ai dû subir la loi des hommes, me donner au plus fort. Et c’est ainsi que je suis devenue la compagne de Manda, un…

DIEU : Manda ? Quel drôle de nom !

HOMME : Mandat-lettre ou mandat-carte ?

DIEU : Taisez-vous ! Ces plaisanteries sont d’un goût exécrable.

AMELIE : Son véritable nom était Louis Pleigneur. C’était un souteneur, un voyou, un apache, comme on disait alors. Puis, un peu plus tard, je suis tombée amoureuse, vraiment amoureuses, d’un brave garçon nommé Leca, Dominique Leca. C’était un ouvrier découpeur en métaux. Il travaillait sur le chantier du métro de Paris…

DIEU : Ne rêvez pas sur votre passé. Poursuivez.

AMELIE : Manda n’a pas apprécié, c’est le moins qu’on puisse dire que je tente de faire ma vie avec Dominique.

HOMME : Mais c’est bien naturel…

AMELIE : Il ne voulait surtout pas perdre sa propriété et voir diminuer ses revenus. Car n’oubliez pas que je travaillais pour lui et étais l’une des prostituées les plus demandées de notre quartier. Mais, par dessus tout, Il redoutait d’être la risée des voyous de sa bande. C’est son orgueil qui l’a fait agir comme il l’a fait.

DIEU : Revenez à votre histoire.

AMELIE : Il a d’abord tenté de mettre Leca à l’amende,

SATAN : L’amende à Manda ! C’est d’un comique !

AMELIE : Donc il a voulu faire payer Dominique mais comme celui-ci refiusait de lui verser de l’argent, ils se sont battus. Manda a eu le dessus et a grièvement blessé Leca. Tous deux ont été envoyés au bagne, et je me suis retrouvée seule, à la merci des hommes, cette fois-ci pas des petits loubards de mon quartier, mais à la merci des apaches et voyous en beaux habits.

DIEU : Expliquez-vous.

AMELIE : Le directeur d’un music-hall, qui avait appris mon histoire, ce qui était facile car la presse lui avait consacré de nombreuses pages, a voulu la recréer dans son établissement. Et c’est ainsi que j’ai dû, pour ne pas mourir de faim, m’exhiber chaque jour sur une scène devant une masse de curieux. Puis les apaches sont passés de mode, et j’ai été virée comme une malpropre. J’ai traîné ma misère d’hôtel borgne en maison louche, alors que de nombreux hommes avaient pu gagner de l’argent, beaucoup d’argent, en utilisant ma triste histoire. Les femmes sont, pour les hommes, comme les " kleenex ". Lorsqu’elles ont servi, lorsqu’ils n’en ont plus besoin, ils les jettent.

SATAN : Mais vous avez survécu ! Et plutôt bien ! Et avec un homme, pour autant que je le sache !

AMELIE : Effectivement, j’ai pu finir mes jours avec un brave homme de jardinier qui se moquait de mon passé. Et je vendais ses légumes avec ma petite charrette sur les marchés ! Et de cela, je suis plutôt fière ! Bien plus que de ce que j’ai vécu auparavant ! Mais, pendant toutes ces années de ma jeunesse, combien d’hommes se sont amusés de moi ? Alors, un seul homme généreux parmi des dizaines d’intéressés, parmi des dizaines de profiteurs, parmi des dizaines d’exploiteurs, la proportion est bien mince.

DIEU : Je vous remercie, Amélie.

Qu’entre maintenant Jane

Vos nom et qualité, mademoiselle

JANE : Madame, s’il vous plaît, car si nous ne sommes passés ni devant un Maire, ni devant un prêtre, Tarzan et moi sommes bel et bien mariés.

HOMME : Oui. Moi, Tarzan, toi Jane.

SATAN : Deux sauvages, voici les nouveaux témoins. Le tribunal ne s’honore pas : une fille de mauvaise vie, une tricoteuse de la Révolution, maintenant une sauvage. Jusqu’où irons-nous ?

DIEU : Silence, et laissez mademoiselle Jane témoigner. Nous vous écoutons, mademois, pardon, nous vous écoutons, Madame.

JANE : Comme vous le savez certainement, j’étais une jeune et brillante jeune femme de Londres, journaliste, partie avec un groupe d’explorateurs dans une île tropicale où j’ai rencontré un homme formidable Il était grand, il était beau, il sentait bon le sable chaud…

HOMME : Mon légionnaire !

JANE : Mais non, votre plaisanterie est idiote. J’ai rencontré un mec plus ultra, le meilleur homme que la terre ait porté, l’Homme de ma vie. Un être plein de qualités, doux sensible, aimant : Tarzan

SATAN : Vous témoignez donc en faveur de mon client ! Il était temps que l’on dise enfin du bien de l’homme !

JANE : Attendez, je n’ai pas fini. Tarzan était plein de qualités…

HOMME : Et il faisait YOOOOOOOH pendant que… zoum zoum tagada ?

SATAN : Tais-toi donc imbécile, ou je renonce à te défendre.

JANE : Voilà bien un homme tel que ceux que j’ai quittés en rencontrant Tarzan ! Je l’ai échappé belle ! Si Tarzan était parfait, ce n’est pas parce qu’il était un homme, c’est qu’il n’avait été élevé que par un groupe de chimpanzés et non par ses semblables. Mon mec à moi parlait pas de voiture, mais se levait la nuit pour voir si tout allait bien. Il s’occupait avec soin de son petit paradis, aidait la nature à retrouver sa beauté après le passage d’un cyclone ou d’une tornade…

HOMME : Et que fais-je depuis la tempête de décembre 1 999 ?

JANE : Cela n’a rien à voir. Il ne jouait pas seulement de la tronçonneuse, lui, mais il tâchait de soigner les animaux blessés, dégageait les entrées des terriers et tanières.

HOMME : Je démazoute bien les oiseaux…

JANE : Que tu as toi-même mazoutés !

HOMME : Je…

SATAN : Tais-toi, tu ne dis que des conneries. D’ailleurs, j’en ai assez de te défendre. Tout ce que j’ai entendu m’écœure. Tu es pire que moi. Je représente certes le mal, du moins c’est mon titre officiel, mais toi alors, tu es bien pire que moi, tu me bats à plate couture. Je reste à tes côtés, mais ne compte plus sur moi pour te défendre si tu continues à t’enferrer. J’ai bien envie de te refiler mes cornes et ma queue et de prendre ta place. Je ne pourrais pas être pire que toi !

DIEU : Jane, continuez.

JANE : Justement, lorsque notre petit Paradis a été découvert, l’homme a voulu tout de suite le modifier, et, aujourd’hui, cette belle forêt n’existe plus. Ce furent d’abord les arbres rares qui ont été coupés, ainsi que tous ceux qui empêchaient de les transporter jusqu’à la côte. Puis les autres arbres ont été brûlés pour faire place à des cultures. Mais le terrain était pauvre et plus rien ne pousse aujourd’hui. Cette île luxuriante où j’ai été heureuse est devenue un désert. Plus un arbre, plus un animal sauvage… à part quelques rats, et lapins. Et combien d’autres îles sont dans cet état ? Et combien de forêts ont été anéanties ?L’homme est responsable de tout cela. L’homme est responsable d’avoir saccagé la terre comme il a ravagé mon île.

DIEU : Merci Jane.

Nous allons maintenant écouter Yukia

Mademoiselle, vos nom et qualité

YUKIA : Très honorable seigneur Dieu, honorables messieurs de ce tribunal, honorables spectateurs de ce procès, je me nomme Yukia Yamamoto et je suis, j’étais plutôt, geisha.

DIEU : Nous vous écoutons.

YUKIA : Je suis née en 1 920 dans un petit village du pays du soleil levant, et comme j’étais une jolie petite fille, mes parents m’ont vendue à une école de geishas. J’ai dû subir mille tortures. Ainsi, par exemple, on a bandé mes jolis petits pieds pour qu’ils restent petits. J’ai dû apprendre une foule de petites choses, dont certaines étaient très pénibles, pour être, pour les clients du lieu où je servais, une parfaite esclave. Je devais savoir deviner, et surtout satisfaire, les désirs, tous les désirs des hommes qui fréquentaient cet établissement. Une geisha, très honorables messieurs et dames, n’est pas seulement une jeune fille qui sert le thé selon les traditions, mais elle est surtout l’esclave des clients.

DIEU : Mais l’on nous a déjà beaucoup parlé de la brutalité des hommes. N’avez-vous que cela à dire ?

YUKIA : Non, divin maître de toutes choses, je ne suis pas venue devant votre honorable société pour évoquer ma condition humaine, mais surtout pour parler de ma mort.

Un jour, un jour où le soleil rendait le printemps japonais encore plus beau, s’il est possible, qu’il n’est d’habitude. C’était un jour où les fleurs embaumaient, où les petits passereaux gazouillaient leur joie de vivre, où les grues couronnées dansaient… Puis, j’ai entendu le bruit d’un avion. J’ai levé la tête. J’avais oublié que notre céleste empire était en guerre. Et une bombe est tombée. J’ai vu alors la terre s’embraser, les fleurs se faner puis brûler sous l’effet de l’intense chaleur, les arbres perdre leurs feuilles, puis s’enflammer, les plumes des oiseaux roussir et se carboniser, mon kimono de soie roussir lui aussi, mon corps se couvrir de cloques, ma peau se fendre et prendre une vilaine teinte brune. J’avais l’impression que le feu était entré dans mes poumons. Je suis morte après plusieurs jours de souffrances atroces. Rien, ni personne, n’a survécu dans la petite ville d’Hiroshima où, malgré ma condition d’esclave de luxe, j’avais tout de même passé de bons moments. J’accuse l’homme d’avoir inventé ce moyen de faire périr tout sur la planète. J’accuse l’homme de l’avoir utilisé pour détruire et faire souffrir. Je l’accuse d’avoir, à Tchernobyl réédité ce massacre en laissant sans entretien un engin de mort qu’il annonçait comme pacifique.

DIEU : Vous n’êtes pas ici pour accuser, mais pour témoigner. Retenez-vous.

YUKIA : Excusez-moi, très honorable et divin juge, mais je me suis laissée emporter par ma colère. Il est vrai que, le lendemain de l’explosion d’Hiroshima, je devais, enfin, recouvrer ma liberté, et que ma mort a mis fin à mon projet. Je n’ai rien d’autre à ajouter.

PROCUREUR : Il n’y a plus de témoin, mais je crois que tout est dit. L’Homme mérite d’être sévèrement châtié. Je suggère même qu’il soit rayé de la liste des espèces vivant sur ce jardin qu’était autrefois la terre et où il n’a semé que désordre et ruine. Votre clémence lors de l’affaire du déluge ou à l’occasion de la destruction de Sodome et Gommorhe ne lui a pas servi de leçon. Cet être est incorrigible et doit disparaître.

SATAN : Moi-même suis effaré par le mal qu’a pu créer l’homme et ne vois pas comment le défendre. Je suggère cependant au tribunal de faire preuve de clémence et de lui attribuer mon titre d’archange du mal. C’est assez lourd à porter et il en sera bien puni. Et puis, j’en ai un peu marre de passer mon temps devant des broches et des marmites !

HOMME : Je demande pardon pour tout le mal que j’ai pu faire. Je ne recommencerai plus. Je fermerai toutes les centrales nucléaires, je ferai disparaître toutes les bombes atomiques, à neutrons, à hydrogène, et même les bombes glacées… Je donnerai le pouvoir aux femmes, d’ailleurs j’ai déjà commencé, j’ai donné le RPR à une femme, les Verts sont à une femme aussi, c’est une femme qui succédera à Jospin. Vous voyez que je suis plein de bonne volonté…

DIEU : Nous allons rendre notre sentence.

Homme, dans notre infinie bonté, nous ne vous condamnons pas à la destruction, nous ne vous condamnons pas non plus à prendre la place de Satan, mais vous êtes condamné tout d’abord à donner à la femme, la place qui lui revient, à ne plus abîmer votre terre et à réparer tout ce qui peut l’être. de plus, il vous est désormais interdit de vous vanter d’avoir été créé à notre divine image. Seule la Femme, dorénavant, pourra revendiquer ce droit dorénavant.

Il retire sa barbe et son vêtement masculin et apparaît sous les traits d’une femme.