RETROUVAILLES

PERSONNAGES:

SERVEUSE:

JOCELYNE professeur, mariée, 3 enfants

IRENE amie d'EN de Jocelyne, divorcée, 2 enfants

CARINE 15 ans, fille de Jocelyne

CAROLE 13 ans, fille d’Irène

YVES ALOINT, professeur, amoureux transi de Jocelyne

BERTRAND collaborateur d’Irène

VIRGINIE 20 ans, nièce de Bertrand

FRANCOISE professeur, collègue et amie de Jocelyne

 

Dans une salle d'un estaminet, la serveuse s'affaire, nettoie des tables... Elle écoute une musique moderne, forte. Elle coupera l’appareil à l’entrée des premiers clients.

Entrent deux femmes, Irène et Jocelyne, accompagnées de leurs filles respectives...

SERVEUSE: Bonjour Mesdames, je suis heureuse de votre visite. Si vous voulez bien choisir une table...

JOCELYNE: Celle-ci fera très bien l'affaire.

IRENE: Oui, ce sera parfait

SERVEUSE: Si vous voulez bien me confier votre vestiaire... Je vous apporte la carte.

Elle s'éloigne.

JOCELYNE: Vraiment, je n'en reviens pas. Te retrouver ! 20 ans après !

IRENE: Eh ! Oui ! Comme les mousquetaires !

SERVEUSE: (Remettant une carte à chacune) Si vous voulez bien faire votre choix...

Elle s'éloigne à nouveau

CARINE: Je peux prendre ce que je veux ?

JOCELYNE: Evidemment.

CARINE: Alors, je voudrais... je voudrais... Je voudrais... Je ne sais pas. Il y a trop de choses.

JOCELYNE: Prends donc un chocolat et une tarte aux pommes. Ici, elles étaient excellentes autrefois. Tu te souviens Irène ?

IRENE: Mais le patron a dû changer

JOCELYNE: C'est bien possible. Je ne suis pas venue ici depuis... depuis des années. Depuis l’époque des tartes aux pommes.

IRENE : Mais tu habites pourtant toujours dans la région ?

JOCELYNE : Oui, mais... tu sais... le travail, les enfants... on ne pense plus à soi. Mais tu dois savoir ce que c'est.

IRENE : Moi ? Mais je n'ai jamais eu le goût du sacrifice ! Je prendrai aussi un chocolat et une tarte. En souvenir du bon vieux temps.

JOCELYNE: Moi aussi. Et toi... ? Euh !

CAROLE: (l'air snob) Carole, je m'appelle Carole. Je prendrai un thé de Chine et des petits fours

CARINE: Je prendrai plutôt du chocolat. Je n'aime pas le thé. Dis, maman, Je pourrai aller au cinéma après ?

JOCELYNE: Avec qui ? Pour voir quel film ?

CARINE: Avec... Avec... des copines.

JOCELYNE: Des copines ou un copain ?

CARINE: Ben... Il y aura les deux.

JOCELYNE: Alors c'est non. Tu iras samedi après-midi avec ton petit frère et ta petite sœur.

CARINE: J'en ai marre. Toujours à m'occuper des petits ! Je suis pas une bonniche tout de même ! Je n'ai jamais le droit de sortir avec mes copines. Je ne peux jamais aller à une boum ! Je suis prisonnière ! Je ne peux pas vivre. L'école ! Les petits ! Tu ne connais que ça !

JOCELYNE: Crois-tu que ce soit poli envers Irène et... et...

CAROLE: Je m'appelle Carole, je vous l'ai déjà dit.

JOCELYNE: Oui. Crois-tu que ce soit poli de me faire une scène devant mon amie. Tu vas voir ce que je vais dire à ton père ce soir à la maison.

IRENE: Il faut que j'aille me remaquiller. Viens avec moi Carole.

JOCELYNE: Tu me fais honte, Carine. Tu...

CARINE: C'est toujours pareil. Tu me traites comme une petite fille. Mais j'ai 15 ans !

JOCELYNE: Et alors ? A 15 ans on est encore toute jeune.

CARINE: Mais je suis une adolescente. J'ai le droit de sortir comme mes camarades. Je serai bientôt une adulte.

JOCELYNE: Tu en es encore bien loin.

CARINE: Tu n'as pas confiance en moi. Dès que tu me vois avec un garçon, tu imagines le pire. Mais je suis encore vierge !

JOCELYNE: Heureusement ! Mais nous reparlerons de tout cela plus tard. Avec ton père.

CARINE: Je peux aller au cinéma ?

JOCELYNE: Tu iras tout à l'heure avec Carole.

CARINE: Celle-là ? Elle a l'air d'une bourge.

JOCELYNE: Parle comme il faut. C'est quoi une bourge ?

CARINE: Une qui a des sous et qui le montre quoi ! N’empêche que je préférerais y aller avec mes copines.

JOCELYNE: Pas question.

CARINE: Elles vont encore me faire la gueule demain.

JOCELYNE: Surveille ton langage. Tu ne vas pas encore me faire honte avec cela. Je suis...

CARINE: Je sais. Tu es prof de Français et tu ne voudrais pas que l'on parle autrement que dans les livres. Mais il faudrait te réveiller. Tout le monde parle comme ça. Tiens. Mais regarde vers la porte. Ce n'est pas le prof de maths qui va entrer ?

JOCELYNE: Oh ! Merde ! Je file aux toilettes rejoindre Irène. Je n'ai pas envie de le voir.

CARINE: Il est toujours amoureux de toi ?

Jocelyne court vers le fond de la salle sans répondre.

Entre Yves qui se dirige aussitôt vers Carine.

YVES: Bonjour Carine (Il regarde de tous côtés). Ta maman n'est pas là ? Je croyais pourtant...

CARINE: Oh ! Non ! Elle n'est pas ici, Monsieur Aloint. Elle est partie faire une course.

YVES: Et elle en aura pour longtemps ?

CARINE: Je ne sais pas. Une heure peut-être… ou plus… ou moins.

YVES: C'est dommage. J'ai un livre à lui prêter.

CARINE: Vous lui prêterez demain, au collège. Ce n'est pas urgent je suppose.

YVES: Non, mais... J'avais aussi quelque chose d'important à lui dire. A propos du syndicat.

CARINE: Il vous faudra attendre demain. De toute manière ça ne doit pas être très urgent. Mon papa, le Mari de Maman, dit toujours que rien n'est jamais pressé.

YVES: Je ne suis pas pressé, mais je vais peut-être l'attendre. J’ai tout mon temps.

CARINE: (précipitamment) Vous savez, elle ne viendra pas ici, je dois la retrouver devant le cinéma.

YVES: Mais au fait, elle sait que tu es là ? Tu as sa permission ? Car tu sais, je ne lui dirai rien...

CARINE: Bien sûr qu'elle le sait. Je suis avec une copine. On va aller voir le dernier film de Léonardo di Caprio tout à l'heure.

Arrive alors Carole.

YVES: Bonjour mademoiselle. Je te laisse. Je bois un verre et je m'en vais. Passez un bon après-midi.

Il va s'asseoir un peu plus loin et appelle la serveuse.

YVES: Mademoiselle !

SERVEUSE: Monsieur ?

YVES: Apportez-moi... un Perrier.

SERVEUSE: Tout de suite monsieur

Elle le servira puis il sortira après avoir pris sa consommation

CAROLE: Qui c'est ?

CARINE: Un prof du collège. Il est amoureux de maman et il la suit partout.

CAROLE: Et elle ?

CARINE: Elle quoi ?

CAROLE: Elle l'aime aussi ?

CARINE: Comme elle en parle, je ne crois pas. Elle se moque toujours de lui avec papa.

CAROLE: Tu as encore ton père ? Moi, je ne vois plus le mien depuis bien longtemps. Maman a des copains qui viennent de temps en temps à la maison, et on est très bien comme ça.

CARINE: Tu es fille unique ?

CAROLE: Non. J'ai aussi une grande sœur. Mais elle n'habite plus chez nous. Elle vit avec un copain et ils viennent seulement manger. Un jour à la maison, un jour chez les parents du garçon.

CARINE: Ils ne sont pas mariés ?

CAROLE: Ben non ! Elle n'a que 17 ans et lui 19 !

CARINE: Et ta mère les laisse ?

CAROLE: Evidemment ! Elle préfère les savoir ensemble que je ne sais quoi.

CARINE: Quelle chance ! Ma mère n'accepterait jamais un truc pareil. Tu as vu ! Elle ne veut même pas que j'aille au ciné avec des copines !

CAROLE: Moi, je peux faire ce que je veux. Mes copines et mes copains viennent à la maison. Un jour même, Maman m'a vu en train de faire un smack à un garçon.

CARINE: Et elle n'a rien dit ?

CAROLE: Non. Rien du tout.

CARINE: Quel bol ! Moi, je suis obligée de me cacher. Ah ! Si mes parents pouvaient être comme ta mère ! Tiens le père Aloint est parti. Je vais aller appeler ma mère.

CAROLE: Comment tu as dit qu'il s'appelle ?

CARINE: Le père Aloint. Yves Aloint.

Et elle part chercher Jocelyne et Irène.

CARINE: Si on veut aller au ciné, on n'a plus le temps de rester. Tu me donnes des sous ?

IRENE: Et vous allez voir quoi ?

CARINE: Le dernier film de Léonardo di Caprio ! Pardi !

JOCELYNE: Alors amusez-vous bien. Tiens, voilà 1OOF. A tout à l'heure. On se retrouve ici.

IRENE: Tiens Carole. Pour vous offrir une glace… ou autre chose.

Les adolescentes sortent en criant "A tout à l'heure"

JOCELYNE: C'est plus confortable que les toilettes. Non ?

IRENE: Oui, mais cette cachette nous a rappelé les heures que nous y avons passées quand une prof de l'Ecole Normale venait ici.

JOCELYNE: Tu t'en es souvenu aussi ?

IRENE: Evidemment ! Mais dis-moi, à part ton prof, tes amours ?

JOCELYNE: Ben... Mon mari.

SERVEUSE: Vous avez choisi ?

JOCELYNE: Deux chocolats et deux parts de tarte aux pommes, n'est-ce pas Irène ?

IRENE: Oui, ce sera très bien.

SERVEUSE: Alors, deux tartes et deux chocolats. Merci Mesdames. Je vous les apporte immédiatement.

IRENE: Mais tu l'aimes ?

JOCELYNE: Qui ? Yves ?

IRENE: Non ! Ton mari !

JOCELYNE: Oh ! Je suis habituée. Voilà 17 ans que nous sommes mariés et je ne saurais pas me débrouiller seule. Alors...

IRENE: Mais tu es incroyable ! J'ai mis le mien à la porte quand Carole avait 3 ans...

JOCELYNE: Tu l'as mis à la porte ?

IRENE: Oui. Il faut que je te raconte. Ce jour-là, tout avait tourné de travers. Il y des jours comme ça

JOCELYNE: Hélas !

IRENE: J'étais allée chez le coiffeur, comme chaque semaine, et en sortant, un de ces orages ! Une trombe d'eau. Mon Brushing… Je te raconte pas...

JOCELYNE: Oh ! J’imagine. Cela m'est arrivé plus d'une fois.

SERVEUSE: Voilà Mesdames. Vos tartes. Vos chocolats

JOCELYNE: Merci Mademoiselle. Tenez.

SERVEUSE: Merci Madame

IRENE: Je continue. Donc, j'étais ruisselante. Et ma voiture qui était loin. Enfin j'y arrive, complètement trempée, je pars et au premier carrefour, Boum ! Un imbécile qui grille le feu rouge !

JOCELYNE: Ah ! Les hommes au volant ! Ils ont beau parler de nous en mal, ils sont quand même responsables de plus d'accidents graves que nous les femmes.

IRENE: Bref, il me bousille une aile, et pendant qu'on faisait le constat, le voilà qui commence à me draguer, qui me propose d'aller faire les papiers chez lui...

JOCELYNE: Il n'avait pas eu assez d'avoir cabossé ta voiture, il voulait te caramboler aussi ?

IRENE: Apparemment. Je m'en débarrasse avec une paire de claques au moment où il devient trop entreprenant puis je rentre chez moi. J'ouvre une boîte de conserves, tu comprends je n'avais plus le temps, et je sers Môssieur. Lui, silencieusement, le nez dans son journal, avale sans rien dire. Il ne m'avait pas dit un mot depuis mon arrivée.

JOCELYNE: Les hommes. Tous pareils décidément.

IRENE: Alors, je lui demande si c'est bon. Pas de réponse. J'insiste. Toujours pas un mot. Alors je me mets à gueuler : " Tu aimes ?" Il prend un air étonné pour me demander "quoi ?" "Ce qui est dans ta gamelle ! Abruti ! Toujours aussi ébahi, il me dit: " Tu as tes petites affaires pour être aussi énervée ?

JOCELYNE: Comme si l'on ne pouvait pas être de mauvaise humeur sans avoir nos règles !

IRENE: C'est ce que je lui ai dit. Alors ce fut grandiose. J'ai râlé. Contre tout. La double journée des femmes, l'égoïsme des mecs et tout et tout.

JOCELYNE: Et alors ?

IRENE: Il n'a rien trouvé à ajouter que "Tu as tout ce qu'il te faut, des robots ménagers, un beau four programmable, un sèche-linge et tout et tout.

JOCELYNE : Et tu lui as répondu...

IRENE: J'ai couru à la cuisine, je lui ai mis dans les bras le mixer, le robot à tout faire, je suis allé chercher l'aspirateur et d'autres ustensiles et je lui ai dit : "Tu n'as qu'à coucher avec tous ces robots qui font tout et attendre qu'ils veuillent bien te servir puisque tu les aimes tant

JOCELYNE: Ca alors ! Je n'en reviens pas. Et lui, qu'est-ce qu'il a dit?

IRENE: Rien ou presque. Des "calme-toi ma chérie ", des "allons ma douce ", tout ce que les hommes utilisent pour endormir les femmes.

JOCELYNE: Et il n'a pas réussi, je suppose.

IRENE: Oh ! Non ! Ce soir-là, je me suis enfermée dans la chambre, et dès le matin je suis allée chez un avocat pour demander le divorce. Et voilà. Depuis, je suis bien mieux qu'avant. Libre et indépendante.

Tiens ! Mais c'est Bertrand ! Qu'est-ce que vous faites là ? Asseyez-vous. (Appelant la serveuse) Mademoiselle ! (S’adressant à nouveau à son amie) Jocelyne, voilà Bertrand, un de mes collaborateurs, le plus précieux sans doute. Bertrand, je vous présente Jocelyne, une amie de jeunesse.

BERTRAND: Mais, Madame la directrice, vous êtes toujours jeune... Enchanté, Madame.

SERVEUSE: Vous m'avez appelée ?

IRENE: Evidemment. Apportez-nous donc... trois portos.

SERVEUSE: Bien Madame.

IRENE: Alors Bertrand, dites-moi. Qu'est-ce que vous faites ici ?

BERTRAND: A vrai dire, je vous cherchais... Et j'ai trouvé par hasard votre fille qui m'a dit que vous étiez ici.

IRENE: Vous me cherchiez, mon petit Bertrand ? Et pourquoi donc ? Le travail?

BERTRAND: Voilà. C'est un peu difficile à expliquer. C'est au sujet de ma nièce. Elle a de gros ennuis. Enfin c'est très compliqué. Mais elle a besoin d'aide, et comme je sais que vous êtes... que vous êtes formidable...

IRENE: Allons, Mon petit Bertrand, ne dites pas n'importe quoi. Expliquez-vous au lieu de me flatter.

BERTRAND: Voilà. Enfin, ma nièce, elle s'appelle Virginie, ma nièce donc a de gros ennuis. Mais je ne sais pas par où commencer...

IRENE: Et bien, ne commencez pas. Allez la chercher. Elle est en ville au moins ?

BERTRAND: Oui, elle habite ici.

IRENE : Alors, buvez votre porto, et ramenez-la. Nous verrons si je peux l'aider.

BERTRAND: Oh ! Merci, Madame la Directrice. Je reviens tout de suite.

Et il sort.

JOCELYNE: Il t'a appelée Madame la Directrice ? Et avec un respect qui n’est pas d’usage dans notre profession ! Mais directrice de quoi ? D'une école ? Ca m’étonnerait, vu comme il te parle.

IRENE: Mais non, pas d'une école. Il y a bien longtemps que j'ai quitté l'enseignement. Je suis dans le commerce. La directrice des parfums Clara Bacci. Tu sais "Air du flan ", "Héroïne ",... et bien d'autres.

JOCELYNE: Je connais. J'en ai même dans mon sac. Tiens regarde. Un flacon de Harpie rouge. Ca vient bien de chez toi ?

IRENE: Tu l'aimes ? Et bien tu n'auras pas à en acheter pendant quelques temps.Je t'en ferai envoyer par un coursier... Ou par Bertrand si tu le trouves à ton goût.

JOCELYNE: Oh !

IRENE: Rassure-toi. Je ne te ferai pas une telle vacherie. Ce Bertrand, il n'est pas mal, c'est un collaborateur efficace, mais en amour, c'est un vrai paresseux ! Il aurait eu Madonna ou n'importe laquelle des plus belles femmes dans son lit, il aurait attendu qu'elle fasse le travail !

JOCELYNE: Tu dois exagérer !

IRENE: Non, je t'assure. Je suis sortie, ou plutôt rentrée avec lui pendant quelques temps. Sa façon de faire l'amour consiste à se donner le moins de mal possible. Il m'a laissée tout faire. Tu ne peux pas savoir à quel point c'est déstabilisant. J'en arrivais à douter de moi.

JOCELYNE: Je te crois, mais ces choses-là, tu sais... Ca ne m'intéresse pas vraiment.

Entre Françoise

FRANCOISE: Bonjour ma chérie ! J'étais certaine de te trouver ici.

JOCELYNE: Certaine ? Mais comment donc ?

FRANCOISE: Ton soupirant ! Ce cher Yves Aloint. Il est dans la rue à faire les cent pas, à regarder sans cesse la vitrine. Il est même étonnant qu'il ne soit pas ici, assis à la table la plus proche.

JOCELYNE: Encore ! Il ne me lâche pas d'une semelle. S'il pouvait me laisser tranquille !

FRANCOISE: Tant que tu ne voudras pas de lui... Mais tu devrais être plus charitable et lui donner ce qu'il attend.

JOCELYNE: Certainement pas ! Et puis, si un jour je trompe mon mari, ce qui m'étonnerait, ce ne sera pas avec un enseignant. Pour parler de pédagogie … l'heure des câlins! J'en ai froid dans le dos rien que d'y penser. Mais ne parlons plus de cela. Tu ne connais pas mon amie. Nous étions à l'Ecole Normale ensemble. Je te présente donc Irène, Irène Hervé, la directrice des parfums Clara Bacci. Françoise Hardeuse, une collègue.

FRANCOISE: Enchantée Madame. (Appelant la serveuse) Mademoiselle ! S'il vous plaît ! (A Irène) Je connais bien vos parfums. J'utilise... Le nom ne me revient pas. Ah ! Oui ! Toto ! A propos, puisque vous êtes une ancienne collègue, vous ne pourriez pas m'établir une carte de réduction ?

SERVEUSE: Madame, vous désirez ?

FRANCOISE: Apportez-nous...

JOCELYNE: Rien pour moi.

IRENE: Rien pour moi non plus.

FRANCOISE: Apportez--moi donc un Vittel

SERVEUSE: Très bien madame.

IRENE: Ah ! L'enseignement ne changera jamais. Vous êtes toujours obligées de vous serrer la ceinture !

FRANCOISE: Mais vous, vous avez compris, vous avez quitté l'enseignement.

IRENE: Oui. Je n'étais pas faite pour ce métier. Essayer de faire travailler des enfants qui n'en ont rien à faire ou presque, et cela pour un salaire de misère... J'ai préféré changer.

JOCELYNE: Mais tu sais bien que les enseignants ne savent rien faire !

IRENE: J'ai appris.

SERVEUSE: Voilà Madame.

FRANCOISE: Merci. Mais, Madame Hervé, racontez-moi comment on peut en sortir. Vous avez dû avoir une vie passionnante !

JOCELYNE: Oui, raconte.

IRENE: Si ça peut vous faire plaisir... Alors, voilà. En sortant de l'EN, je me suis trouvée sur un poste dans une banlieue pourrie, j'ai passé mon CAP très facilement car l'inspecteur qui sévissait à cette époque aimait bien la chair fraîche puis j'ai cherché un travail pour les congés. Autre chose qu’une colonie de vacances, car, comme je l’ai dit, je ne suis pas fanatique des mioches. C'est comme ça que je me suis retrouvée dans un bureau d'une grosse maison de publicité à recopier les idées de ces messieurs les créatifs.

FRANCOISE: Et alors ? C'est bien loin des parfums.

IRENE: Un jour, j'ai eu une idée. Géniale paraît-il. J'ai imaginé une pub pour un parfum. Vous devez vous souvenir la publicité du 6 de Cannelle.

JOCELYNE: C'était toi ?

FRANCOISE: C'était vous ?

IRENE: Et oui. Alors la maison Cannelle m'a embauchée à temps complet pour sa publicité. J'ai eu quelques autres idées. J'ai pris du galon. Et, lorsque la directrice a voulu créer une maison faussement concurrente, elle m'en a confié la direction et une bonne partie des actions.

FRANCOISE: Quelle chance !

JOCELYNE: Oui ! Quelle chance!

IRENE: Et pas mal de travail aussi. Mais voilà Bertrand et sa nièce.

JOCELYNE: Il faut que j'aille acheter le dernier Meiriau...

IRENE: Ah ! Oui. Votre super pédagogue !

JOCELYNE: Ne plaisante pas. Il est formidable. Un extraordinaire conférencier, un homme de valeur. Un... Un...

IRENE: Un superman quoi ! Mais ma parole ! Tu es amoureuse ! Comme les gamines avec di Caprio !

JOCELYNE: Enfin, même si tu te moques, je vais acheter son livre. Tu pourras t'occuper des affaires de cette petite. Tu m'accompagnes Françoise. Je n'ai pas envie d'être accostée par... par...

FRANCOISE: Ton amoureux ! Oui, bien sûr. Je vais te servir de garde du corps.

JOCELYNE: Alors … plus tard. Je serai bientôt de retour.

IRENE: Oui. Elle sera plus à l'aise seule avec moi pour raconter son histoire.

BERTRAND: Madame la Directrice. Voici ma nièce Virginie.

IRENE: Alors Mademoiselle. Votre oncle m'a dit que vous aviez des ennuis ?

VIRGINIE: Des ennuis ! C'est peu dire ! Je viens de tout perdre. Mon travail et l'homme avec lequel je vivais. Et mon logement aussi. Et le plus fort, c'est que je n'y comprends rien ! Je n'ai rien fait de mal ! Et je risque la prison !

IRENE: Tout ensemble ? Vous cumulez !

VIRGINIE: Oui. Tout me tombe sur le dos depuis ce matin. Que des catastrophes !

IRENE: Racontez-moi tout. Et dans le détail. C'est le mieux si vous voulez que je vous aide.

VIRGINIE: Oui sans doute. Mais... C'est un peu... C'est difficile.

IRENE: Racontez tout depuis le début. C'est le moyen le plus simple.

VIRGINIE: Voilà. J'avais 18 ans en sortant de l'école. J'ai trouvé un petit emploi dans un supermarché, tout près d'ici. Un emploi de caissière. Très vite, le gérant a commencé à tourner autour de moi. Il me disait que j'étais belle, m'invitait à la cafétéria, au cinéma, au restaurant... et même, une fois, dans une auberge à la campagne. Et avec ça, toujours correct. Pas un geste déplacé. Il me jurait qu'il m'aimait. Et un jour... Un jour, après quelques mois,... et bien... Un jour...

IRENE: Vous avez couché avec lui.

VIRGINIE: Oui. Alors, tout est allé très vite. J'ai changé de travail et je suis devenue chef de rayon. Puis son adjointe. Et puis, je suis allée vivre avec lui. C'était formidable. J'étais heureuse, mais heureuse ! Vous ne pouvez pas savoir!

IRENE: Mais cela n'a pas duré.

VIRGINIE: Cela a duré près de 2 ans... Et puis, voilà 2 mois... Mais cela n'a sans doute rien à voir avec ce qui m'arrive, voilà 2 mois. Oh ! Comment vous dire ? C'est tellement ridicule d'en souffrir, surtout à notre époque...

IRENE: Il vous a trompée ?

VIRGINIE: Je ne sais pas. Je crois. Mais je n'en suis pas certaine. Une nouvelle caissière est arrivée. Jolie, élégante... Et il a commencé à avoir des réunions, à rentrer tard... Et puis, cette nuit...

IRENE: Cette nuit ?

VIRGINIE: Oui. Il n'est pas rentré. Il a découché. C'était la première fois. J'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Enfin je croyais, car ce matin, quand je suis arrivée au travail, il y avait des inspecteurs du siège. Ils ont épluché mes comptes.

IRENE: Et ils ont trouvé des erreurs ?

VIRGINIE: Plus que ça ! Ils m'accusent d'avoir détourné de l'argent! Des millions ! Alors la société va porter plainte contre moi ! Et j'ai été renvoyée sur-le-champ ! Et comble de tout cela, quand je suis rentrée chez nous, chez moi, chez lui plutôt, mes affaires étaient toutes devant la porte. Sûr qu'il n'aura pas voulu être compromis dans mes ennuis, dans ce vol comme ils disent. Mais je n'ai rien fait. Je vous le jure.

IRENE: Qu'en pensez-vous Bertrand ?

BERTRAND: Elle ne m'avait pas tout dit. Mais c'est ce type. Il a dû magouiller, et comme il risquait d'être pris, il fait tout retomber sur la tête de la petite. Je vais aller lui casser la gueule tout de suite !

IRENE: Mais non. Calmez-vous. Cela ne servirait à rien. Il va falloir être plus malins. Comment s'appelle votre supermarché, Mademoiselle ?

VIRGINIE: Ce sont les supermarchés Croisement

IRENE: Ca tombe bien. Ca ne pouvait pas tomber mieux. Ils sont clients chez nous ! Tranquillisez-vous. Je vais en parler au P.D.G. Bertrand, demandez-lui un rendez-vous de toute urgence.

BERTRAND: Bien Madame, j'y vais immédiatement.

IRENE: Voilà ! Les magouilles de votre ex-ami-ex-patron vont être contrôlées... Et je serais bien étonnée qu'il n'y laisse pas des plumes. En attendant de réintégrer votre travail et de trouver un nouveau logement, vous pouvez peut-être loger chez votre oncle ?

BERTRAND: C'est trop petit. Je n'ai qu'un studio.

IRENE: Et bien tant pis. Vous en serez quitte pour loger chez moi. J'ai une grande maison, et pour quelques jours...

BERTRAND: Oh ! Merci Madame la Directrice.

VIRGINIE: Merci Madame. Tonton m'avait dit du bien de vous, mais il est encore au-dessous de la vérité. Vous êtes... Vous êtes...

IRENE: Une femme, tout simplement. Et au lieu de me remercier, allez donc vous occuper de tout. Votre logement et le rendez-vous.

BERTRAND: On y Court...

VIRGINIE: Merci encore Madame ! Merci. Vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez et si je peux un jour vous être utile...

IRENE: Ne perdez pas de temps. Bertrand, revenez tous deux dès qu'elle aura remis ses valises à Maria. Nous verrons ce que nous pouvons faire d'autre pour cette petite.

Françoise et Jocelyne reviennent.

BERTRAND: Bien Madame la Directrice. Et merci encore. Je fais au plus vite.

IRENE: Alors, ce livre ?

JOCELYNE: Je l'ai. Tiens ! Regarde la photo de Meiriau !

IRENE: Oh ! Je le connais. Ce n'est pas parce que j'ai quitté l'enseignement que je ne me tiens pas au courant. Et puis, je le connais personnellement.

JOCELYNE: C'est vrai ? Tu l'as rencontré ?

IRENE: J'ai même dîné avec lui.

JOCELYNE: Quelle chance tu as eue ! Quelle chance tu as ! Rencontrer Meiriau, partager son repas. Lui qui a l'air si... si... tellement de bonne compagnie !

IRENE: Oh ! Pas tellement. Il est même plutôt ennuyeux.

JOCELYNE: Comment peux-tu dire cela ? Je l'ai vu une fois. Il donnait une conférence. Il était passionnant. Truffant son discours d'exemples amusants, d'anecdotes croustillantes... Il savait tenir son public...

FRANCOISE: Surtout toi !

JOCELYNE: Ne te moque pas. Toute la salle était suspendue à ses lèvres. La pédagogie devenait vivante. Il avait une présence !

FRANCOISE: A propos de présence, regarde qui arrive !

IRENE: C'est ton amoureux ? Il n'est pas si mal...

JOCELYNE: Hélas ! C’est bien lui ! Et puis regarde ! Il s'approche de notre table ! ...

FRANCOISE: Et bien, je vais te laisser. Au revoir. Je te verrai demain. Tu me raconteras... (à Irène) Au revoir, je suis très heureuse de vous avoir rencontrée.

IRENE: Au revoir. Je vous ferai passer du parfum par Jocelyne.

FRANCOISE: Merci ! Merci beaucoup. Au revoir.

YVES: Bonjour Jocelyne. Je suis profondément heureux de te rencontrer ici, où je suis entré par hasard...

JOCELYNE: Après m'avoir suivie tout l'après-midi ?

YVES: Non ! Non ! Tu as dû confondre. Je ne me permettrais pas... (à Irène) Excusez-moi. Bonjour Madame.

IRENE: Bonjour Monsieur. Alors, vous avez eu la chance de tomber sur nous par hasard?

YVES: Oui, comme je le disais, je passais par-là. Mais puis-je m'asseoir ? Je n'en ai pas pour longtemps.

JOCELYNE: Mais alors, fais vite.

YVES: Oui, je sais que tu n'as jamais le temps de me parler.

IRENE: Excusez-moi un instant. Un coup de téléphone à donner. (Et elle se dirige vers les toilettes).

JOCELYNE : Tu n'as rien d'intéressant à me dire, je suppose. Comme d'habitude !

YVES: Que tu es dure ! Je ne t'ai pourtant jamais rien fait !

JOCELYNE: Rien ? Tu es toujours dans mes jambes. Tu appelles cela rien ?

YVES: Oh !

JOCELYNE: Bref ! Que veux-tu, cher collègue ?

YVES: Voilà, je voulais te prêter le dernier livre de Meiriau. Je sais que tu l'aimes bien...

JOCELYNE: Trop tard. Mon MARI vient de me l'offrir.

YVES: Ton… mari... Ah ! Bon.

JOCELYNE: Oui. Maintenant, au revoir.

YVES: Mais ce n'est pas tout...

JOCELYNE: Quoi encore ?

YVES: Bien voilà. Tu sais qu'il y a encore des prisonniers politiques en...

JOCELYNE: Je parie que tu veux encore me faire signer une pétition !

YVES: Oui, pour la libération de...

JOCELYNE: Donne ! Je m'en moque, mais une signature pour la corbeille à papiers, ce n'est pas bien grave. Et comme ça t'amuse...

YVES: Comment peux-tu dire des choses pareilles ?

JOCELYNE: Que veux-tu qu'un gouvernement d'un pays éloigné, d’un pays dont on ne sait même pas où il se trouve tant c’est loin, puisse avoir à faire de ta signature et de la mienne ?

YVES: Détrompe-toi. Nous avons obtenu la libération de... de...

JOCELYNE: Tu vois ! Tu n'arrives pas à trouver. Donne donc ton papier que je le signe. (Il lui donne) Voilà ! C’est fait ! Au revoir.

YVES: Mais ce n'est pas tout !

Irène revient et reprend sa place.

JOCELYNE: Quoi encore ?

YVES: Tu n'as pas encore pris ta carte du syndicat.

JOCELYNE: Oui. Tu me la donneras demain. Bien. Maintenant au revoir. Tu vois bien que je ne suis pas seule.

YVES: Ah ! Oui. Excusez-moi Madame. Au revoir Jocelyne (Il lui garde longuement la main alors qu'elle essaie de la retirer). A demain.

JOCELYNE: A demain ! Hélas !

IRENE: Mais il t'adore, ce pauvre homme !

JOCELYNE: Il m'ennuie surtout. Et, si je pouvais en être débarrassée !

IRENE: Prends un amant et fais-lui savoir.

JOCELYNE: Il est tellement, tellement, mais tellement con qu'il serait capable d'en parler à mon mari. Ils se rencontrent souvent dans les réunions syndicales.

IRENE: Ah oui ! Tu es syndiquée ! La prof parfaite. Une vie privée modèle, le syndicat et tout le tintouin. Je parie même que tu votes à gauche, comme 80% des enseignants.

JOCELYNE: Ben oui ! Ce sont quand même les plus proches de nous !

IRENE: Si tu le dis. Mais je ne suis pas obligée de te croire. D’autant plus que c’est sous les gouvernements de gauche que j’ai gagné le plus d’argent ! Mais, pour en revenir aux syndicats, laisse-moi te dire que ces gens-là te font plus de mal que de bien.

JOCELYNE: A moi ?

IRENE: Oui ! A toi, et à tout le monde. C'est à cause d'eux que nos industries sont presque toutes en retard par rapport aux entreprises mondiales. Les patrons ne peuvent pas librement se séparer du personnel excédentaire...

JOCELYNE: Mais il vaut mieux que les gens travaillent plutôt que d'être au chômage.

IRENE: On voit bien que tu vis complètement coupée du monde ! Empêcher le licenciement ne conduit qu'à la faillite des entreprises. Mais je ne suis pas avec toi pour te donner un cours d'économie. Les syndicats ont du bon malgré tout. Ils évitent les dérapages d'un certain nombre de patrons peu scrupuleux, entre autres. Mais voici nos filles qui arrivent.

JOCELYNE: Alors les filles ? C'était bien ?

 

CARINE: Hyper ! Géant !

CAROLE: Ouais ! Léonardo! Génial ! C’est de la balle!

IRENE: Mais le film ? Il était intéressant ?

JOCELYNE: Racontez-nous. Et, si possible en utilisant un langage que nous puissions comprendre.

IRENE: N'abuse pas ! Espèce de prof ! Elles parlent le jargon de leur âge ! C'est à toi de t'adapter.

JOCELYNE: Essayez quand même de faire un effort.

CARINE: (A Irène) Je peux parler normalement ? (Aux deux) Dans cette toile, Léonardo est un bourge, mais alors hyper bourge ! De la tune plein les poches.

CAROLE : Je traduis : Dans ce film, Léonardo di Caprio tient le rôle d'un homme d'affaire immensément riche.

CARINE: Et puis, il a des shoes ! Je te raconte pas. Des Doc. Un bourge cool, quoi ! Pas ringard du tout !

CAROLE: Il a de belles chaussures à la mode des jeunes. Il est certes riche, mais à la mode malgré tout.

CARINE: Il s'engueule avec sa meuf au début du film, et, tout du long, ils se tirent des bourres, se prennent la tête, se sortent des vannes tout en essayant de se remaquer. Ce keum, il est vraiment cool !

CAROLE: Il se dispute avec l'héroïne au début de l'histoire, ils se chamaillent tout le temps mais ne rêvent que de se remettre ensemble. Il est formidable, cet acteur !

IRENE: Enfin, c'est un film très classique. Un mélo. Et s'il n'y avait pas di Caprio, il ne vous aurait pas plu, non ?

JOCELYNE: Ah oui ! Ce genre de films, tu les trouves plutôt inintéressants.

CARINE: Oui ! Mais il y avait le beau Léonardo !

CAROLE: Et Laurent !

IRENE: Laurent ?

JOCELYNE: Quel Laurent ?

CARINE: Oh ! Personne.

CAROLE: UNE personne. Et que Carine aime bien.

JOCELYNE: Quoi ? Quoi ? Quel Laurent? Ne me dis pas que c'est le fils Barre ? Je ne veux pas que tu le voies ! Il est toujours le dernier de la classe, ses parents sont divorcés et sa mère... c'est une moins que rien. Et puis, il est Martiniquais.

IRENE: Ne me dis pas que toi, une enseignante, syndiquée, qui vote à gauche, et tout et tout, tu t'attaches à des détails si mesquins. Voyons, tu as l'esprit ouvert, non ?

JOCELYNE: Peut-être, mais lui... lui... il est...

CARINE: Il est noir et trouve que l'école est ennuyeuse et il s'emmerde avec les profs. C'est son droit.

JOCELYNE: Je vais le dire à ton père. Il va y mettre bon ordre. Nous allons t'envoyer en pension en province. Loin... Loin... avec des gens… normaux.

CARINE: Il est tout aussi normal que toi et moi. Tu n'es qu'une raciste ! Ah ! Tu peux rouspéter contre... Je ne sis plus son nom. Tu es comme lui.

JOCELYNE: Allez vous asseoir à une table plus loin. Nous avons à parler. (Appelant la serveuse) Mademoiselle ! (Aux filles) Commandez ce que vous voulez. Merci Carole. Tu as bien fait de me dire qu'elle avait vu Laurent Barre.

Les filles se lèvent

CARINE: (A Carole) Ah ! Que tu es vache ! Mais, tu me le paieras. Je vais te buter dès que j'en aurai l'occasion.

SERVEUSE: Mesdames ?

IRENE: Vous servirez aux petites ce qu'elles voudront. Et apportez-nous deux portos. Avec un assortiment de petits fours.

SERVEUSE: Bien Madame. Par qui faut-il que je commence ?

IRENE: Par nous ! Elles en ont pour un moment avant d'avoir fait leur choix.

JOCELYNE: Ces enfants ! Cette fille surtout ! Je n'en viens pas à bout !

IRENE: Mais tu es trop sévère ! A son âge, il est normal qu'elle ait un petit ami !

JOCELYNE: Mais elle choisit ce qu'il y a de pire ! De la graine de voyou!

IRENE: Mais c'est toi qui la pousses ! Laisse-lui un peu plus de liberté. et elle fréquentera des garçons bien. Et puis ce Laurent... Laurent...

JOCELYNE: Barre. C'est un voyou! Il fume ! Et pas que du tabac ! Je me demande même s'il n'a pas fait pire.

IRENE: Il n'est peut-être pas si mal ce garçon. Tu le vois avec tes yeux de prof qui ne connaît rien à la vie...

JOCELYNE: Oh ! Tout de même ! J'ai lu dans les journaux...

IRENE: Oui, c'est bien ce que je disais. Tu ne connais rien à la vie. Les journaux ne montrent que le sensationnel.

JOCELYNE: Mais qu'est-ce que je dois faire ?

IRENE: Etre humaine. Tout simplement. Ne pas t'attacher aux apparences, mais essayer de connaître les gens. Tu l'as déjà rencontré ce garçon?

JOCELYNE: Je le vois tous les jours.

IRENE: Mais non. Chez toi? Tu l'as invité ? Rien qu’une fois ?

JOCELYNE: Ah, Ca non ! Il ne manquerait plus que ça !

IRENE: Commence donc par là. Mais cessons de parler de ta fille. Celle qui nous arrive là a un problème bien plus grave.

Bertrand et Virginie s'approchent.

IRENE: Alors Bertrand ? Les bagages de cette petite sont chez moi ? Vous avez contacté le P.D.G. des magasins Croisement?

BERTRAND: Oui, Madame la Directrice. Tout est fait. Il vous appellera au bureau demain matin. Quant aux bagages, je les ai confiés à votre domestique.

IRENE: C'est parfait. Etes-vous contente Mademoiselle ?

VIRGINIE: Oh ! Oui Madame. Oncle Bertrand m'a expliqué comment les choses avaient dû se passer. Que j'ai été naïve et bête !

IRENE: Ces choses-là peuvent arriver à toutes les filles trop jolies. Il est facile d'obtenir des promotions en comptant sur son physique et sur l'amour, mais le talent et le travail sont bien plus sûrs.

VIRGINIE: Je ne suis pas près d'être à nouveau amoureuse !

IRENE: Eh ! Je n'ai pas dit ça ! Soyez amoureuse, faites l'amour autant que vous en aurez envie ! Mais ne faites pas trop confiance aux hommes. Ils ne sont pas tous, loin s'en faut aussi dignes de confiance que votre oncle.

BERTRAND: Vous me flattez.

IRENE: Certainement pas. Mademoiselle, rentrez donc chez moi, chez vous, et préparez-vous. Ce soir, je vous emmène au cinéma.

VIRGINIE: Merci ! Merci encore ! Mais comment pourrai-je jamais vous remercier ?

IRENE: En étant heureuse, petite, toute votre vie ! Une journée comme celle-ci doit vous y aider. A ce soir. Et vous, Bertrand, à tout à l'heure au bureau ! Avec votre absence, il doit y avoir du travail en retard !

VIRGINIE: A ce soir, Madame.

BERTRAND: Très bien. Je vais immédiatement au siège.

Et ils sortent

IRENE: Le travail m'appelle. Je ne vais pas tarder à partir. J'ai été contente de te rencontrer.

JOCELYNE: Que je t'admire ! Tu es sûre de toi, extraordinaire !

IRENE: Tu ne vas pas te mettre à m'admirer ? Il ne manquerait plus que ça!

JOCELYNE: Mais tu es admirable ! Tu sais te passer d'un homme ! Tu es devenue une grande femme d'affaire ! Tu as plein d'idées !

IRENE: Mais, bon sang de bonsoir. Tu ne vas pas te décider à être adulte. A cesser d'être une enseignante de base, qui a besoin d'instructions pour conduire sa classe et sa vie ! La fréquentation des enfants vous rend encore plus enfants qu'eux !

JOCELYNE: Tu as peut-être raison. Mais je ne saurais pas faire autrement.

CAROLE: Maman ! C'est l'heure de mon cours d'équitation !

IRENE: Oui ! Nous y allons. Au revoir Jocelyne. Et appelle-moi un de ces jours. On passera une journée ensemble.

JOCELYNE: Au revoir Irène. A bientôt. Au revoir Carole.

CAROLE: Au revoir Madame

Irène et Carole sortent

JOCELYNE: Carine, dépêche-toi de terminer. Et puis, demain, tu inviteras Laurent … go–ter. J'aimerais le connaître.

CARINE: C'est vrai ?

JOCELYNE: Oui. Allez. Viens. On s'en va. (Elles se dirigent vers la sortie).

SERVEUSE: Madame ! Madame !

JOCELYNE: Oui ? Que se passe-t-il ?

SERVEUSE: Personne n'a payé. Vous me devez...

JOCELYNE: Quoi ? Elle m'a laissé la note?

CARINE: Elle a dû oublier...

SERVEUSE: Vous me devez 280F

JOCELYNE: Ah ! Les riches ! Pour eux, il n'y a pas de petites économies!

RIDEAU