RIRA BIEN QUI RIRA LE DERNIER

PERSONNAGES:

FRANCOIS

LIONEL, barman

MICHEL

ALINE, femme de Michel

LE SIMPLET

 

La pièce se déroule essentiellement dans un bar. Au début, le bar est vide de clients.

FRANCOIS: Salut Lionel ! Tiens ! Il n'y a encore personne !

LIONEL: Bien sûr que non, François ! Tu sais bien que, le vendredi, les autres arrivent plus tard. Qu'est-ce que je te sers ?

FRANCOIS: Il a fait très chaud aujourd'hui sur le chantier. Sers-moi une bière. Bien fraîche ! Comme d'habitude !

MICHEL: Salut la compagnie ! Tiens, Lionel, sers-moi aussi une bière. Alors, François, tu as réfléchi ?

FRANCOIS: A quoi ?

MICHEL: Mais au loto sportif, bon sang ! On est vendredi, et le vendredi, tous deux nous faisons un loto sportif. Tu n'as pas oublié ?

FRANCOIS: Non, je n'ai pas oublié, mais je dois te dire que cette semaine, je n'y crois pas trop

MICHEL: De toute manière, on n'a jamais gagné depuis 5 ans que l'on joue. Alors, une fois de plus ou de moins...

FRANCOIS: C'est vrai, mais d'habitude, on connaît au moins les équipes. Mais là… Le Kamasoutra, non, je me trompe, le tchatchatcha, c'est pas ça non plus, (Il regarde la feuille de jeu) oui, le Kamtchatka. Tu connais ? Qui va gagner, le Kammachin ou le (il lit lentement) Burkina-Fasso ? Et le match entre le Kazakhstan et le Yoplaboum, non, j'ai voulu aller trop vite, le Zimbabouin, non, c'est pas encore ça, le Zimbabwe ? Tu as déjà entendu parler de ce bled? Et ils sont tous pareils. A part la France qui rencontre Java...

MICHEL: Ce match-là, les Français vont le gagner. Au moins 5 à 0 ! La java, ça nous connaît, nous les Français !

FRANCOIS: Je vais te dire. Si les Français gagnent, je te paie tout ce que tu voudras. Depuis le départ de Zidane, ils se font battre par toutes les équipes. Ils perdraient même devant des enfants.

MICHEL: Tu exagères toujours... Flûte ! Ma femme ! Et trop tard pour me cacher ! Tiens! Bonjour ma chérie ! Qu'est-ce qui t’amène ?

ALINE: Ce qui m’amène, tu le sais bien ! Très bien même ! Voilà 6 semaines que, tous les jours, tu me promets de bêcher le jardin, et que, tous les jours, tu trouves un prétexte pour ne pas le faire.

MICHEL: Mais, ma petite Aline, mon canard en sucre...

ALINE: Pas de canard en sucre ! La bêche !

MICHEL: Mais, ma chérie, nous sommes vendredi soir. Dans une heure, la nuit va tomber. Demain, j'aurai le temps de tout faire.

ALINE: Taratata ! Tu m'as déjà fait ce coup-là une fois, pas plus tard que la semaine dernière, et, tout le samedi et tout le dimanche, il a plu. Alors, une fois de plus, tu t'es prélassé devant la télé !

MICHEL: Mais, mon petit lapin de garenne, la météo annonce du beau temps pour tout le week-end...

ALINE: Tu sais bien qu'ils annoncent toujours du beau temps pour le week-end. Comme cela, ils sont certains que les Parisiens iront se promener.

MICHEL: Je t'assure que demain, tout le travail sera fait.

FRANCOIS: Et j'irai l'aider.

ALINE: Ce sera beau ! Les deux plus grands feignants du village au travail ! On va refuser du monde devant la clôture ! Personne ne voudra manquer ça ! Si j'osais, je vendrais des billets d'entrée, comme au théâtre, et je gagnerais suffisamment pour acheter une nouvelle voiture. Vous deux au travail !

MICHEL: Tu peux te moquer de nous, tu nous verras à l’œuvre.

ALINE: Je ne vais pas manquer ce spectacle. Je vais même inviter mes amies à venir. Mais attention ! Si demain soir le jardin n'est pas bêché, entièrement bêché, complètement bêché, parfaitement bêché, je téléphone à ma mère et nous irons passer le dimanche chez elle. Tu aimes sa façon de cuisiner, je crois ?

MICHEL: Surtout pas ça ! (Aux autres) C'est un véritable supplice que de manger la cuisine de la belle-mère. Elle met autant de sel que de légumes, poids pour poids, elle met le rôti au four dès 7 heures du matin, ou alors, quand on se met à table, ses sauces n'ont aucun goût, et ses gâteaux sont carbonisés. Chaque fois que je mange chez elle, il me faut une semaine pour m'en remettre.

ALINE: Alors tu vois ! Le jardin, et la bêche ! Il faut quand même bien que je puisse semer les haricots avant Noël ! (Elle sort).

MICHEL: Ouf ! Encore une journée de gagnée !

FRANCOIS: Et oui, mon petit canard en sucre. Une journée de gagnée. Mais, demain, il va falloir y passer. Tu peux commander une caisse de bière, car, si je vais t'aider, je ne veux pas mourir de soif.

MICHEL: Si encore je pouvais me faire prêter un motoculteur...

LIONEL: Le samedi ! Il ne faut pas y compter! Les samedis et les dimanches, tout le monde jardine. Et que je tonds la pelouse, et que je creuse ! C'est simple, dans le lotissement, il y a encore plus de bruit de moteurs qu'au bord d'une autoroute.

MICHEL: Mais tu ne connais personne qui voudrait venir bêcher mon jardin ?

LIONEL: Si tu le paies, pourquoi pas ?

MICHEL: Oh non ! Gratuitement.

LIONEL: Gratuitement ? Mais il faudrait être fou ! Même le Simplet...

FRANCOIS: Même le Simplet... Même le Simplet ? Et pourquoi pas ? Je tiens une idée. Et si ça marche, demain matin, ton jardin sera fait.

MICHEL: Et sans que j'aie à travailler ? Formidable ! Si tu y parviens, je te paie... je te paie... je te paie... l'apéritif pendant toute un mois, non, une semaine.

FRANCOIS: Tu me devras bien ça. Lionel ! Donne-moi un crayon et une feuille de papier.

MICHEL et LIONEL : Une feuille de papier et un crayon ? C'est avec ça que tu veux bêcher le jardin ?

FRANCOIS: Laissez-moi faire ! Tout ira comme sur des roulettes. Allez plutôt regarder les joueurs de boules sur la place.

LIONEL: Et mon bar ? Qui va le tenir ?

FRANCOIS: Ne t’inquiète pas ; je servirai tous tes clients. Va te promener. Tu n'as pas si souvent l'occasion de le faire.

MICHEL: Tu as une idée de ce qu'il veut faire ?

LIONEL: Non ; aucune. Mais tu le connais : il ne nous dira rien. Allons donc faire un tour comme il nous l'a demandé. (Ils sortent).

FRANCOIS: Bonne promenade ! Et ne revenez pas avant une grosse demi-heure!

Maintenant, au travail ! (Il dessine et écrit sur la feuille de papier). Voilà, c'est bien clair. Maintenant, il n'y a plus qu'à le froisser pour lui donner l'air plus vieux... Et à le jaunir avec les fleurs qui sont dans ce vase... Et c'est prêt ! Le tour est joué ! Je n'ai plus qu'à attendre le Simplet.

LE SIMPLET : Salut tout le monde ! Ah Non ! Salut tout seul ! Il n'y a personne? Lionel n'est pas là ?

FRANCOIS: Non. Il est parti faire une course et je tiens le bar pendant son absence. Qu'est-ce que tu bois ? C'est moi qui régale.

LE SIMPLET : Dans ce cas... Donne-moi... un... une... un... une bière bien fraîche.

FRANCOIS: Voilà. Maintenant, je paie. (Il sort l'argent de sa poche).

LE SIMPLET : Tu viens de faire tomber un papier.

FRANCOIS: (Il le ramasse et le déplie) Ah oui ! C'est un bout de papier que j'ai trouvé en faisant des réparations à la prison... Dans une cellule, caché dans la plinthe. Tiens regarde. Je me demande ce que ça peut bien être.

LE SIMPLET : Fais voir. Un drôle de dessin ! Tu me le donnes ?

FRANCOIS: Si tu veux. Allez, A ta santé !

LE SIMPLET : A la tienne ! Mais je me dépêche, Bobonne m'a demandé d'aller chercher des patates pour la soupe. Si je veux manger ce soir... Au revoir ! (En sortant, il croise Michel et Lionel) Salut la compagnie ! (Il regarde Michel avec insistance en riant aux éclats).

MICHEL: Qu'est-ce qu'il a ?

FRANCOIS: Il a qu'il va bêcher ton jardin cette nuit, et que ça l'amuse.

MICHEL: Si tu le dis.

(Noir. Le rideau se ferme. Un projecteur s'allume et l'on voit apparaître le Simplet, une bêche sur l'épaule).

LE SIMPLET : Quelle belle nuit ! C'est la pleine lune ! Je verrai comme en plein jour. Un temps idéal pour travailler ! Mais ne faisons pas de bruit... Si je réveille Michel, il est capable de m'envoyer du plomb dans les fesses, Même s'il est bon camarade, il n'hésitera pas. Et… il ne faut pas qu'il sache. Allez ! Courage!

(Il traverse la scène en bêchant, puis disparaît. Noir. Puis le rideau s'ouvre … nouveau sur le bar. Lionel est en place. Aline et Michel entrent).

ALINE: Mon petit Michel. Il faut te reposer. Tu dois être épuisé ! Si tu dois tomber malade, je m'en voudrai toute ma vie. J'ai tellement insisté ! Tant que je t'ai dérangé le cerveau. Je m'en veux. Tu ne peux pas savoir à quel point. Mais aujourd'hui, tu vas bien te reposer. Tiens tu pourras rester toute la journée au bar de Lionel. A jouer aux cartes ou aux dominos avec tes copains… Lionel!

LIONEL: Oui Aline ?

ALINE: Michel va rester toute la journée chez toi. Il pourra boire tout ce qu'il voudra, c'est moi qui vais lui offrir. Il a besoin de repos et je n'ai pas envie qu'il tombe malade. J’espère qu'il ira mieux demain. Veille bien sur lui. Et qu'il ne s'énerve pas surtout ! Ces maladies dans la tête, on ne sait jamais ce que ça peut devenir.

LIONEL: Je vais le soigner comme si c'était mon fils, tu peux compter sur moi.

ALINE: Bon ! J'ai à faire. Je te laisse mon petit poulet. Ménage-toi, et ne va pas parler de politique, surtout, cela t'énerverait. Et ne parle pas non plus de jardinage. Repose-toi, mon chou.

MICHEL: Je ne suis pas malade à ce point !

ALINE: On ne sait jamais, mon poussin. Passe une bonne journée. A midi, je vais te préparer ton plat préféré : du boudin. Et en dessert, tu auras deux choux à la crème. Allez. A tout à l'heure. (Elle lui fait deux grosses bises)

MICHEL: Au revoir, ma petite Aline.

(Elle sort et François entre).

FRANCOIS: Tu vois ! J'ai tenu ma promesse, ton jardin est prêt à planter. C'est Aline qui doit être contente !

MICHEL: Contente ? C'est peu dire ! Elle est ravie ! Heureuse ! Radieuse ! Presque autant que le jour où elle a gagné une assiette à la tombola des écoles ! Mais quel mal pour lui expliquer ! Je lui ai raconté que j'avais tellement pensé à son jardin que je m'étais sans doute levé la nuit pour le faire. Elle croit que je suis devenu somnambule et a pris rendez-vous chez un spi psi spychiatre !

FRANCOIS: Pas un spychiatre ! Un psychiatre. De toutes façons, même si tu n'es pas somnambule, ça ne pourra que te faire du bien. Le psychiatre te trouvera bien quelque chose.

MICHEL: Cesse de te moquer, et raconte-moi plutôt comment tu t'y es pris pour faire bêcher ce jardin.

FRANCOIS: Approche-toi Lionel ! Donc, hier soir, j'ai eu une idée, une idée de génie...

LIONEL: Attends ! Voilà quelqu'un ! Ne lui dis rien avant que je ne sois revenu !

FRANCOIS: Mais, je le connais !

MICHEL: C'est... C'est...

FRANCOIS: Oui, c'est bien lui ; J'en suis sûr ! (Le Simplet entre, portant jaquette, canne, œillet à la boutonnière...) Qu'est-ce qui lui arrive ? Je ne l'ai jamais vu aussi élégant... Bonjour Simplet! Bien dormi ? (et il rit)

LE SIMPLET : Dormi ? Pas du tout. Figurez-vous qu'hier... Mais, approche Lionel... Donc, hier, François m'a donné... Tu t'en souviens ? .. Un morceau de papier qu'il avait trouvé dans la prison où il fait des travaux. Ce papier était le plan de la cachette du fameux bandit qui a dévalisé le Crédit Abricole. J'ai passé la nuit à le chercher, mais, au petit matin, j'ai mis la main dessus. J'ai transpiré, mais pas pour rien ! Des billets ! Des tas de billets enveloppés dans des sacs-poubelle ! J'ai tout apporté au directeur du Crédit Abricole ce matin. Même que j’ai dû prendre ma brouette ! Et il m'a remis 10% de la somme volée. Et me voici millionnaire... plusieurs fois millionnaire ! En nouveaux francs ! Comme si j'avais gagné au loto ! Et...

(A ce moment, Michel se lève, très en colère)

MICHEL: Ah ! François ! Tu me la copieras ! Lui donner des millions ! Des millions qui auraient dû être à moi ! (Il le menace puis le poursuit à travers le bar) Voleur ! Escroc ! Tu m'as dépouillé ! Ruiné ! Assassin ! Assassin de millions ! Ma fortune ! Mes millions! Mes pauvres millions !

 

RIDEAU.